Résumé : Dans les deux premiers chapitres de la lettre aux Galates, l’apôtre Paul retrace les grandes étapes de sa vie depuis sa conversion, avec une mention particulière d’un voyage en Arabie, sujet de débats contemporains. Selon certains, ce voyage aurait été un moment de réflexion personnelle pour approfondir sa foi après sa rencontre avec le Christ ressuscité, parfois même interprété comme un séjour au mont Sinaï. Cependant, une analyse attentive du texte montre que Paul se rend en Arabie non pas pour méditer, mais pour annoncer immédiatement l’Évangile aux païens, dans un acte d’obéissance à son appel divin. Ce point est renforcé par la rapidité avec laquelle Paul commence à prêcher après sa conversion, comme le montre le récit de sa prédication à Damas et l’absence de mention d’une retraite spirituelle dans les textes. En Galates, Paul insiste sur le fait que son autorité apostolique et son message viennent directement de Dieu, indépendamment des apôtres de Jérusalem. Cette compréhension de son voyage en Arabie met en lumière l’importance de l’annonce de l’Évangile plutôt que de la méditation théologique personnelle. Les textes de Galates, 2 Corinthiens (ch. 10) et celui des Actes confirment que l’objectif principal de Paul en Arabie était missionnaire, et non contemplatif. L’idée d’une retraite spirituelle dans ce contexte ne trouve aucun fondement solide dans les Écritures, et la conclusion selon laquelle Paul aurait médité sur sa foi en Arabie semble être une interprétation erronée. Ce débat souligne la nécessité d’une exégèse attentive et fidèle au texte, sans imposer des idées étrangères au contexte littéraire et historique.
Dans les deux premiers chapitres de la lettre aux Galates, l’apôtre Paul retrace les grandes étapes de sa vie depuis sa conversion. Un passage faisant référence à un voyage en Arabie fait l’objet de débats de nos jours :
Ga 1,15-17 (TOB modifié à partir du texte grec) |
Ga 1,15-17 (NA28) |
15 Mais, lorsque celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce a jugé bon 16 de révéler son Fils en moi afin que je l’annonce parmi les païens, aussitôt, je n’ai pas consulté aucun conseil humain (litt. « la chair et le sang ») 17 ni monté à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, mais je suis parti pour l’Arabie, et je suis revenu encore à Damas. | 15 Ὅτε δὲ εὐδόκησεν [ὁ θεὸς] ὁ ἀφορίσας με ἐκ κοιλίας μητρός μου καὶ καλέσας διὰ τῆς χάριτος αὐτοῦ 16 ἀποκαλύψαι τὸν υἱὸν αὐτοῦ ἐν ἐμοί, ἵνα εὐαγγελίζωμαι αὐτὸν ἐν τοῖς ἔθνεσιν, εὐθέως οὐ προσανεθέμην σαρκὶ καὶ αἵματι 17 οὐδὲ ἀνῆλθον εἰς Ἱεροσόλυμα πρὸς τοὺς πρὸ ἐμοῦ ἀποστόλους, ἀλλ’ ἀπῆλθον εἰς Ἀραβίαν καὶ πάλιν ὑπέστρεψα εἰς Δαμασκόν. |
Dans les églises, il est courant d’entendre que l’apôtre Paul s’est rendu en Arabie pour repenser sa foi juive, après avoir été bouleversé par sa rencontre avec le Christ ressuscité. Il est possible qu’il se soit même rendu au mont Sinaï pour méditer, faire le point et reconstruire sa théologie. On sait que le mont Sinaï est un lieu chargé symboliquement en rapport avec la révélation divine : c’est là où Moïse a reçu les dix commandements. En s’appuyant sur ce passage de Galates 1,15-17, Paul est parfois présenté comme un modèle de croyant nouvellement transformé, qui investi trois années de sa vie pour approfondir sa foi, semblable aux étudiants en théologie qui entreprennent aujourd’hui un baccalauréat.
Galates 1,15-17 : « Aussitôt… je suis parti en Arabie »
Lorsqu’on examine la question de plus près, cette idée n’a pourtant aucun fondement dans le texte. Au contraire, tout semble indiquer que Paul s’est rendu en Arabie pour annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus et mettre en pratique son appel missionnaire sans tarder. Dans les deux premiers chapitres de la lettre aux Galates, l’objectif de Paul est de démontrer que l’Évangile qu’il a transmis aux Galates est le seul message authentiquement approuvé par Dieu. Il justifie son autorité apostolique en expliquant qu’elle provient directement de Dieu par l’entremise de la christophanie qui a causé son changement de vie drastique.
Ses explications entrent en contraste avec ses opposants — les judaïsants — qui prétendaient que Paul n’avait pas transmis l’intégralité de l’Évangile aux Galates, en omettant des éléments essentiels comme la circoncision. Ces influençeurs juifs du temps, qui tenaient à ce que les chrétiens anciennement païens se fassent circoncire pour respecter la loi de Moïse, disaient aussi que l’autorité de Paul dépendait de celle des apôtres de Jérusalem, mais qu’il ne les représentait pas bien. Selon eux, les Galates devaient se fier à eux, les judaïsants, plutôt qu’à Paul. Dans ce contexte, Paul commence sa lettre en mettant l’accent sur l’origine de sa vocation : « Paul, apôtre, non de la part des hommes, ni par un homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts… » Il insiste ensuite sur le fait que l’Évangile qu’il a transmis n’est pas une version parmi d’autres, mais la seule légitime, conforme à la volonté de Dieu, qui l’a choisi avant même sa naissance pour être son témoin auprès des païens1Il s’inspire ici des prophètes Ésaïe et Jérémie, reprenant la même expression qu’eux, « appelé dès le sein maternel pour les nations » (cf. Isaïe 49,1.6 et Jérémie 1,5)..
C’est dans cette perspective, centrée sur la proclamation de l’Évangile, que Paul affirme qu’aussitôt que Dieu lui a révélé l’identité de Jésus comme étant son Fils – au moment de sa conversion -, il partit pour l’Arabie, accomplissant ainsi l’appel de Dieu à l’annoncer aux païens, et cela, sans consulter les apôtres de Jérusalem. Cela prouve son indépendance en tant qu’apôtre vis-à-vis des dirigeants de Jérusalem. Dix-sept ans après sa conversion, les apôtres de Jérusalem reconnurent la validité de la compréhension de l’Évangile de Paul — en particulier en ce qui concerne la liberté des païens par rapport aux coutumes juives — ainsi que son apostolat, lors de leur deuxième rencontre avec lui (Ga 2,1-10). Le texte ne contient pas les mots « méditer », « réfléchir », « approfondir ». Le lecteur doit les plaquer sur le texte pour rendre possible cette interprétation. Le passage souligne surtout que la révélation du Christ à Paul avait pour but qu’il annonce l’Évangile aux païens. Et l’adverbe « aussitôt », rebondit sur ce verbe en montrant qu’il a immédiatement mis cette vocation en pratique en partant pour l’Arabie. S’il avait un autre type d’action en vue, il l’aurait mentionné après l’adverbe « aussitôt » : aussitôt, bien que Dieu m’a appelé pour annoncer l’Évangile, j’ai d’abord été approfondir cette révélation en Arabie.
Cela est confirmé par Ga 1,21-24, où Paul déclare que les églises de la Judée ne le connaissaient pas personnellement, mais avaient entendu dire : « celui qui nous persécutait naguère annonce maintenant la foi qu’il cherchait à détruire ». Cette nouvelle circulait probablement dès les trois premières années suivant sa conversion. Ainsi, il était largement connu que Paul prêchait dès sa conversion, comme le montre également le livre des Actes.
En résumé, le voyage en Arabie s’inscrit clairement dans un contexte littéraire lié à la mission et à l’évangélisation, et rien n’indique qu’il s’agissait d’une retraite personnelle pour approfondir la foi. En réalité, penser que Paul a été en Arabie pour méditer sa foi et non pour évangéliser les païens annulerait même l’argument de Paul en Gal 1-2 ! Cette interprétation pourrait laisser sous-entendre que Paul est devenu missionnaire auprès des païens seulement après sa première rencontre avec Céphas et Jacques (Ga 1,18-19), ce qui confirmerait les dires des judaïsants, qui affirment que l’autorité apostolique de Paul dépend de Pierre et de Jacques, « les colonnes » de Jérusalem.
Galates 4,25 : « Agar, c’est le mont Sinaï en Arabie »
Plus loin dans cette même lettre, Paul utilise une allégorie dans laquelle il évoque à nouveau la région de l’Arabie, en rappelant qu’Abraham a eu deux fils. Le premier, Ishmaël, né d’Agar, l’esclave d’Abraham, incarne « la loi ». En effet, Abraham a cherché à accomplir la promesse divine par ses propres moyens, tout comme les Juifs s’efforcent de suivre la loi de Moïse. La loi est à son tour symbolisée par le Sinaï en Arabie, puisque c’est là que Dieu donna la loi à Moïse. Cela devient également un symbole de la « Jérusalem terrestre », qui est dans l’esclavage, cherchant à plaire à Dieu par la loi plutôt que par la foi en Jésus. Le deuxième fils, Isaac, né de Rebecca, la femme légitime et libre d’Abraham, symbolise la « Jérusalem céleste ». Pour Paul, qui s’appuie sur un passage d’Ésaïe 54,1, elle représente aussi la mère des croyants.
Certains considèrent Ga 4,25 comme une allusion à l’idée que Paul se serait rendu au mont Sinaï pour méditer sur sa vocation et sa nouvelle foi en Jésus. Cependant, cette interprétation ne correspond tout simplement pas au texte, qui n’affirme rien par rapport à la réflexion personnelle, la méditation ou l’étude. Cette interprétation impose des notions étrangères au texte, plutôt que de le laisser parler par lui-même.
Bref, l’Arabie est évoquée dans une allégorie complexe destinée à remettre en question les dirigeants judéo-chrétiens qui insistent sur l’observance de la loi mosaïque chez les païens. Or, rien dans Ga 1,15-17 ou Ga 4,25 ne suggère que Paul ait été en Arabie pour approfondir sa foi.
Actes 9,19b-22 : « Aussitôt, il proclamait que Jésus est le Fils de Dieu »
La rapidité avec laquelle Paul a annoncé l’Évangile est confirmée par le premier récit de conversion de l’apôtre Paul relaté par Luc dans le livre des Actes :
Ac 9,19-22 (TOB modifié à partir du texte grec) |
Ac 9,19-22 (NA28) |
19b Il passa quelques jours avec les disciples de Damas, 20 et, aussitôt, il proclamait dans les synagogues que Jésus est le Fils de Dieu. 21 Tous ceux qui l’entendaient en restaient stupéfaits et ils disaient : « N’est-ce pas lui qui, à Jérusalem, s’acharnait contre ceux qui invoquent ce nom ? Et n’était-il pas venu tout exprès pour les conduire, enchaînés, aux grands prêtres ? » 22 Mais Saul se fortifiait de plus en plus et il confondait les habitants juifs de Damas en prouvant que Jésus était bien le Messie. | 19b Ἐγένετο δὲ μετὰ τῶν ἐν Δαμασκῷ μαθητῶν ἡμέρας τινὰς 20 καὶ εὐθέως ἐν ταῖς συναγωγαῖς ἐκήρυσσεν τὸν Ἰησοῦν ὅτι οὗτός ἐστιν ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ. 21 ἐξίσταντο δὲ πάντες οἱ ἀκούοντες καὶ ἔλεγον· οὐχ οὗτός ἐστιν ὁ πορθήσας εἰς Ἰερουσαλὴμ τοὺς ἐπικαλουμένους τὸ ὄνομα τοῦτο, καὶ ὧδε εἰς τοῦτο ἐληλύθει ἵνα δεδεμένους αὐτοὺς ἀγάγῃ ἐπὶ τοὺς ἀρχιερεῖς; 22 Σαῦλος δὲ μᾶλλον ἐνεδυναμοῦτο καὶ συνέχυννεν [τοὺς] Ἰουδαίους τοὺς κατοικοῦντας ἐν Δαμασκῷ συμβιβάζων ὅτι οὗτός ἐστιν ὁ χριστός. |
Nous rencontrons alors le même adverbe grec qu’en Ga 1,16 : εὐθέως, « aussitôt ». Immédiatement après sa conversion et sa guérison, Paul commença à annoncer l’Évangile autour de lui, à Damas selon Luc et en Arabie selon l’apôtre lui-même. Contrairement aux nouveaux convertis de notre époque, Paul avait déjà été élevé, puis éduqué à Jérusalem auprès de Gamaliel (Ac 22,3). Dès son adolescence et les premières années de sa vie adulte, il reçut une formation théologique reliée à la foi hébraïque. Il était donc déjà prédisposé à faire sens de sa nouvelle foi en Christ et d’en rendre compte à partir des Écritures. Son baccaulauréat, sa maîtrise et son doctorat en « études bibliques » étaient déjà faits en quelques sortes ; il lui restait à revisiter le tout avec de nouvelles clés de lecture à la lumière de la révélation du Christ ressuscité. Les chrétiens d’aujourd’hui qui souhaitent fonder l’importance de l’étude théologique sur le texte biblique devraient prêter davantage attention à ce verset, Ac 22,3, plutôt qu’au voyage de Paul en Arabie. Avant « d’aller en Arabie », il faut « aller à Jérusalem aux pieds de Gamaliel ».
En Actes 9,22, Luc affirme que « Saul se fortifiait de plus en plus ». Bien sûr, un processus d’approfondissement de la foi a dû se faire chez Paul dans les premières années suivant sa conversion. Cependant, Luc enchâsse cette mention sur la maturation de Paul entre deux affirmations concernant le fait qu’il proclamait la Parole aux Juifs. Encore là, comme en Ga 1-2, l’accent est sur la l’annonce de l’Évangile et non sur la méditation.
L’immédiateté avec laquelle Paul met en pratique son appel à annoncer l’Évangile après sa christophanie est confirmée une fois de plus en Actes 26,1-23, où Paul raconte son témoignage de conversion devant le roi Agrippa. Dans ce récit, sa vocation à devenir témoin du Christ est souligné, celui-ci l’envoyant vers les nations païennes (Ac 26,15-18). Paul poursuit en affirmant ceci : « Dès lors (Ὅθεν), roi Agrippa, je n’ai pas résisté à cette vision céleste. Bien au contraire, aux gens de Damas d’abord, puis à Jérusalem, dans tout le territoire de la Judée, et enfin aux nations païennes, j’ai proclamé qu’ils avaient à se convertir et à se tourner vers Dieu, en vivant d’une manière conforme à cette conversion » (Ac 26,19-20). Pourquoi omet-il l’Arabie ? Il est probable que cette première mission n’ait pas donné les résultats escomptés2En accord avec Jerome Murphy-O’Connor, Paul: A Critical Life, Oxford, Clarendon, 1996, p. 84-85. Contre Martin Hengel (« Paul in Arabia », Bulletin for Biblical Research 12 (2002), p. 47-66) qui soutient que l’évangélisation de Paul en Arabie a été un succès.. Il est aussi possible que Luc ne connaissait tout simplement pas ce séjour de Paul en Arabie. En tout cas, ici, comme dans les autres passages consultés jusqu’à présent, Paul prêche sans délai après sa conversion, et rien n’indique un moment de retrait pour méditer sur l’Évangile.
2 Co 11,32-33 : « À Damas, le gouverneur du roi Arétas… »
Le dernier texte pouvant nous éclairer par rapport à son séjour en Arabie est 2 Corinthiens 11,32-33 : « À Damas, le gouverneur du roi Arétas faisait garder la ville des Damascéniens, pour se saisir de moi, mais on me descendit par une fenêtre, dans une corbeille, le long de la muraille, et j’échappai de leurs mains. » Le roi Arétas est le roi d’Arabie. Que faisait son gouverneur à Damas, une ville de la province romaine de Syrie ? Bien que des questions d’ordre historique persistent, il est clair que le roi d’Arabie voulait arrêter Paul. Mais pourquoi ? Si l’approfondissement de la foi personnelle avait été sa principale activité en Arabie, il n’y aurait aucune raison de vouloir l’extirper de Damas. En revanche, si Paul était allé prêcher l’Évangile en Arabie, cela s’expliquerait aisément, surtout en tenant compte des tensions politiques entre le roi Hérode de Judée et le roi Arétas d’Arabie3Sur cette question, voir Jerome Murphy-O’Connor, Paul: A Critical Life, Oxford, Clarendon, 1996, p. 79-85..
Par manque de temps, je ne développerai pas ce contexte politique, mais je me contenterai de dire que 2 Co 11,32-33 confirme que Paul a été en Arabie pour propager l’Évangile et non pour se former théologiquement ou méditer sa foi. De plus, si l’on considère le contexte de 2 Co 11, de façon similaire à Ga 1-2 et Ac 9,19-22, tout est orienté vers la mission ! À l’exception qu’en 2 Co 11, il énumère plutôt les épreuves qu’il a enduré pour annoncer l’Évangile, avec des détails poignants. Que ce soit en 1 Co 11 ou en Ga 1-2, rien n’est mentionné sur la question de la « méditation des Écritures », tout est centré sur l’action missionnaire.
Qu’est-ce que ça change ?
La question « Pourquoi Paul s’est-il rendu en Arabie ? » est pertinente pour trois raisons.
Premièrement, il est crucial de fonder l’importance de l’étude théologique sur des passages bibliques appropriés. Non seulement Ga 1,15-17 ne fait aucune mention de la méditation des Écritures, mais même si c’était le cas, ce passage ne justifierait pas l’étude théologique en tant que telle. En Arabie, il n’existait pas d’école de « théologie chrétienne ». Au mieux, cette interprétation pourrait justifier la méditation personnelle des Écritures. Cependant, il existe une grande différence entre l’apprentissage par le dialogue critique, avec d’autres, et la simple réflexion personnelle sur un texte biblique.
Pour démontrer l’importance de l’étude théologique à partir des Écritures, on pourrait plutôt se tourner vers ces passages :
- « Aller aux pieds de Gamaliel », comme Paul l’a fait dans sa jeunesse, tel que mentionné dans Ac 22,3.
- « Aller à l’école de Tyrannos », où Paul enseigne chaque jour, pendant deux ans à Éphèse, selon Ac 19,9.
D’autres textes, bien qu’ils ne fassent pas explicitement référence à une éducation formelle dans une école, soulignent l’importance du perfectionnement théologique (Ac 18,24-26 : « plus exactement ») et de la vérification du bien-fondé des enseignements (Lc 1,1-4 ; Ac 17,11).
Deuxièmement, bien que Paul ait immédiatement commencé à prêcher que Jésus était le Messie dans les synagogues après sa conversion, cela ne signifie pas que, de nos jours, tout nouveau converti puisse enseigner dans une église. Concernant les nouveaux convertis et l’enseignement, d’autres textes pauliniens soulignent qu’il ne faut pas confier des responsabilités de leadership trop hâtivement à un nouveau converti, mais, un peu comme pour un nouvel emploi, seulement après une période de « probation » ou d' »épreuve » (1 Tm 3,6-7). Bien qu’il puisse partager son propre témoignage de conversion et annoncer l’Évangile aux non-croyants, pour enseigner au sein de l’Église, il doit d’abord se former auprès des leaders chrétiens établis (2 Tm 2,2). Le cas de Paul était différent pour plusieurs raisons.
La situation de Paul en tant qu’ancien pharisien, formé à Jérusalem auprès du rabbin renommé Gamaliel (Ac 22,3), lui offrait un avantage considérable par rapport à de nombreux autres nouveaux croyants de son époque. Il affirme lui-même avoir surpassé les autres dans ses connaissances, et il connaissait probablement déjà un minimum des enseignements chrétiens, notamment pour les persécuter. Dans Ac 9,19-22 que je viens de citer, Luc nous donne un indice sur la raison pour laquelle Paul persécutait les chrétiens : « N’est-ce pas lui qui, à Jérusalem, s’acharnait contre ceux qui invoquent ce nom ? » Invoquer le nom de Jésus pouvait être perçu par Paul comme incompatible avec le monothéisme juif, qui exigeait l’invocation exclusive du nom de Yhwh. Paul était déjà conscient de l’amalgame que les premiers chrétiens faisaient entre Jésus et Yhwh, et cela représentait à ses yeux une grave hérésie. Il y avait certainement d’autres raisons qui expliquaient pourquoi Paul persécutait les chrétiens, comme le fait qu’ils affirmaient que le Messie avait été crucifié, mais nous n’élaborerai pas sur point ici4Sur cette question, Nicholas T. Wright (« Paul, Arabia, and Elijah (Galatians 1: 17) », Journal of Biblical Literature 115/4 (1996), p. 691) explique davantage : « Ce n’était pas simplement que le christianisme primitif suivait un Messie crucifié, bien que cette idée ait semblé blasphématoire. Il s’agissait, plus précisément, du fait que les chrétiens (juifs), en dénonçant le Temple et en adoucissant leur position sur la Torah, se comportaient de manière compromettante et traîtresse, comme l’évoque la tradition juive en référence à la génération du désert à l’époque de Phinées, aux adorateurs de Baal à l’époque d’Élie, et aux hellénisateurs pendant la période macchabéenne. Jésus était, pour eux, celui qui endossait le rôle du Temple et de la Torah ; il était le lieu où le Dieu vivant se révélait. Ils étaient donc des juifs renégats du pire genre. À ses yeux, ils n’étaient pas meilleurs que les adorateurs de Baal. C’était la mission divine du zélé shammanite de les éliminer, racine et branche. » Il s’agit de ma traduction..
De plus, Ananias, qui pria pour sa guérison et l’introduisit à l’Église de Damas, lui transmit sans doute certains éléments fondamentaux de la foi chrétienne, incluant des traditions orales primordiales qui servent de clé pour une théologie en développement (1 Co 15,3-7). Bien sûr, un certain temps fut nécessaire pour que Paul repense sa foi immédiatement après sa conversion et pour que ses nouvelles convictions chrétiennes mûrissent. C’est ce que Luc indique en Ac 9,22 : « Il se fortifiait de plus en plus », ce qui signifie que sa compréhension de la mission, de l’identité de Jésus et du plan de Dieu pour l’humanité devenait de plus en plus claire pour lui durant les premières années suivant sa conversion. Toutefois, Luc ne précise pas que ce processus de maturation de la foi de Paul ait eu lieu en Arabie.
Troisièmement, le débat concernant ce que Paul est allé faire en Arabie met en lumière la manière dont nous pratiquons l’exégèse, l’historico-critique et l’herméneutique. Nous approfondirons ce point dans un prochain article. Contentons-nous de dire que l’historico-critique doit toujours servir le texte. L’examen du contexte historique (historico-critique) doit être subordonné au contexte littéraire. Il s’agit ici d’éviter ce que certains ont appelé la « parallélomanie ».
Conclusion
En conclusion, aucun texte du Nouveau Testament ne mentionne explicitement ni même implicitement que l’Apôtre Paul se rendit en Arabie pour réfléchir à sa nouvelle foi en Jésus Christ. Au contraire, il déclare clairement que dès que Dieu l’a appelé à devenir son porte-parole auprès des païens, il a obéi en se rendant en Arabie pour prêcher l’Évangile. Le processus de maturation de sa foi, comme c’est souvent le cas pour tout nouveau converti, a sans doute eu lieu particulièrement dans les trois années suivant sa conversion, mais rien ne prouve que cela ait été la raison de son voyage en Arabie. Affirmer cela revient à faire de la mauvaise théologie : il faut d’abord tirer un passage de l’épître aux Galates sans saisir l’argument que Paul y développe, puis prendre une phrase du livre des Actes mentionnant que « Paul se fortifiait » après sa conversion — sans reconnaître que Luc ne parle pas ici de son voyage en Arabie — et enfin chercher un autre passage en Galates où Paul évoque l’Arabie dans une allégorie, etc.
Dans un prochain article, je répondrai à la question suivante : pourquoi cette interprétation erronée perdure-t-elle ? J’examinerai les arguments présentés par certains théologiens, tels que N. T. Wright, qui défendent l’idée de la « méditation » comme explication du voyage de Paul en Arabie. Je prendrai également en compte les points de vue d’autres théologiens qui soutiennent la même thèse que la mienne.
Références
↑1 | Il s’inspire ici des prophètes Ésaïe et Jérémie, reprenant la même expression qu’eux, « appelé dès le sein maternel pour les nations » (cf. Isaïe 49,1.6 et Jérémie 1,5). |
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↑2 | En accord avec Jerome Murphy-O’Connor, Paul: A Critical Life, Oxford, Clarendon, 1996, p. 84-85. Contre Martin Hengel (« Paul in Arabia », Bulletin for Biblical Research 12 (2002), p. 47-66) qui soutient que l’évangélisation de Paul en Arabie a été un succès. |
↑3 | Sur cette question, voir Jerome Murphy-O’Connor, Paul: A Critical Life, Oxford, Clarendon, 1996, p. 79-85. |
↑4 | Sur cette question, Nicholas T. Wright (« Paul, Arabia, and Elijah (Galatians 1: 17) », Journal of Biblical Literature 115/4 (1996), p. 691) explique davantage : « Ce n’était pas simplement que le christianisme primitif suivait un Messie crucifié, bien que cette idée ait semblé blasphématoire. Il s’agissait, plus précisément, du fait que les chrétiens (juifs), en dénonçant le Temple et en adoucissant leur position sur la Torah, se comportaient de manière compromettante et traîtresse, comme l’évoque la tradition juive en référence à la génération du désert à l’époque de Phinées, aux adorateurs de Baal à l’époque d’Élie, et aux hellénisateurs pendant la période macchabéenne. Jésus était, pour eux, celui qui endossait le rôle du Temple et de la Torah ; il était le lieu où le Dieu vivant se révélait. Ils étaient donc des juifs renégats du pire genre. À ses yeux, ils n’étaient pas meilleurs que les adorateurs de Baal. C’était la mission divine du zélé shammanite de les éliminer, racine et branche. » Il s’agit de ma traduction. |
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