Qu’est-ce que le « baptême pour les morts » (1 Co 15,29)

03/06/2025

Résumé : En un mot, « ceux qui se font baptiser » signifie « ceux qui se font détruire ou mettre à mort » (un sens fréquemment attesté dans l’Antiquité), tandis que « pour les morts » renvoie à « ceux qui sont condamnés à mort » (c’est-à-dire tout être humain en raison de sa condition mortelle) – une métaphore fréquente chez Paul et d’autres auteurs anciens, tels que Philon d’Alexandrie. En m’appuyant notamment sur les travaux de Jerome Murphy-O’Connor, je démontre que l’expression ne fait pas référence à un « baptême vicarial », c’est-à-dire un baptême en faveur des défunts, mais constitue une double métaphore symbolisant le labeur apostolique. Cette lecture repose entre autres sur quatre raisons de rejeter l’interprétation littérale. Premièrement, la syntaxe de 1 Co 15,29 suggère que Paul considère cette pratique comme valide et significative, ce qui contredirait sa théologie. Deuxièmement, Paul ne considère pas le baptême comme un rite indispensable au salut pouvant être accompli par une personne substitut, mais comme un engagement personnel de foi symbolisant la communion du croyant avec le Christ. De plus, un « baptême pour les morts » au sens littéral serait en contradiction avec les exigences vétérotestamentaires qui interdisent la quête de contact avec les défunts. Troisièmement, l’interprétation littérale introduit une discontinuité dans l’argumentation de Paul, alors que la lecture métaphorique s’intègre logiquement dans le développement du chapitre 15. Quatrièmement, pris au sens littéral, les Corinthiens qui niaient la résurrection des morts auraient simplement répondu à Paul que le « baptême pour les morts » devait également cesser, si l’un ne va pas sans l’autre. J’approfondis ensuite l’interprétation métaphorique en expliquant que le terme « baptiser » peut signifier « détruire » ou « mourir », notamment dans le contexte du martyre apostolique (cf. Mc 10,38-39 ; Lc 12,50). De même, les « morts » ne désigneraient pas des défunts, mais les incroyants, perçus comme « morts existentiellement » dans la théologie paulinienne (cf. Rm 6,13, 7,13.24 ; Ep 2,1 ; Col 2,13). Dès lors, l’expression « baptême pour les morts » ferait référence aux apôtres dont la vie est constamment en péril pour annoncer l’Évangile à ceux qui sont « condamnés à mort ». Cette lecture permet de réinsérer 1 Co 15,29 dans la dynamique argumentative de Paul. Ce dernier ne cautionne pas une pratique cultuelle étrange, mais illustre que le sacrifice des apôtres, qui se livrent à la mort dans l’espérance d’une vie future, n’aurait aucune utilité si la résurrection est impossible, comme le prétendent certains Corinthiens. En conclusion, cette lecture métaphorique offre une interprétation cohérente par rapport au contexte du passage, tout en respectant la théologie paulinienne de la résurrection et du baptême.

Un des passages les plus complexes de la littérature paulinienne reste sans doute la mystérieuse allusion au « baptême pour les morts » mentionnée en 1 Co 15,29. À la suite de Tertullien, de nombreux spécialistes l’interprètent de manière littérale, soutenant que Paul se contente de l’évoquer sans nécessairement l’approuver, afin de souligner l’importance de la résurrection des croyants, fondée sur celle du Christ1Frédéric Godet, Commentaire sur la première épître aux Corinthiens (Tome 2), Paris/Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1887, p. 380-381. Godet fait un bref survol de l’histoire des inteprétations aux p. 380-383.. Cette interprétation est parfois désignée comme celle du « baptême vicarial »2Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, New York, Oxford University Press, 2009, p. 242, 249, 254, 285. Je traduis toutes les citations de Murphy-O’Connor.. Cette pratique consisterait à être baptisé en faveur d’une personne décédée, dans le but de lui offrir la possibilité de recevoir le baptême dans l’au-delà, selon la croyance que le baptême est nécessaire pour le salut. L’idée est que la personne décédée, si elle n’a pas eu l’occasion de se faire baptiser de son vivant, peut ainsi bénéficier des bénédictions du baptême grâce à l’acte vicarial accompli par un vivant. De nos jours, il s’agit d’une pratique qui se trouve au sein de la secte des Mormons, aussi appelée « l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ».

Dans cet article, j’explique pourquoi l’interprétation littérale de l’expression “baptême pour les morts” doit être rejetée. Je présente ensuite l’interprétation métaphorique, en m’inspirant de la position de Jerome Murphy O’Connor qui, comme de nombreux autres spécialistes, estime qu’il s’agit d’une expression doublement symbolique. Cette approche me semble non seulement beaucoup plus plausible que l’interprétation littérale, mais elle s’inscrit également de manière cohérente dans le contexte littéraire immédiat et confère à l’argument de Paul en 1 Co 15 toute sa pertinence. J’utiliserai les guillemets pour signaler le caractère métaphorique de l’expression « baptême pour les morts » et souligner la nécessité d’en préciser le sens.

1. Raisons de rejeter l’interprétation littérale

Quatre raisons rendent l’interprétation littérale inacceptable.

1.1. La validité du « baptême pour les morts » selon Paul

D’abord, la manière dont Paul l’introduit rend difficile l’idée que celui-ci ne cautionne pas ce à quoi cette pratique fait référence. Le point de vue selon lequel Paul évoquerait cette pratique sans l’approuver semble incompatible avec la syntaxe de la phrase dans laquelle elle apparaît. Dans les v. 20 à 28, Paul explique les conséquences de la résurrection du Christ pour les croyants et comment cette résurrection est un signe précurseur de la fin des temps, qui sera caractérisée par la destruction des ennemis de Dieu, la victoire de Dieu sur la mort et l’établissement d’un royaume purifié du mal. Comme les v. 12 à 19, les v. 29 à 34 expriment les conséquences que le point de vue contraire aurait pour l’espérance chrétienne, si effectivement la résurrection des morts était impossible. C’est dans ce contexte qu’arrive le v. 29 :

1 Co 15,29
(Ma traduction)
1 Co 15,29
(NA28)
Autrement, que feront
ceux qui se font « baptiser pour les morts » ?
Si ceux qui sont complètement morts ne ressuscitent pas,
pourquoi se font-ils « baptiser pour eux » ?
Ἐπεὶ τί ποιήσουσιν
οἱ βαπτιζόμενοι ὑπὲρ τῶν νεκρῶν;
εἰ ὅλως3Murphy O’Connor démontre de façon convaincante que cet adverbe vient qualifier le sens relié aux morts, qui fonctionne comme un adjectif attributif : « [I]n the other three NT texts in which the term occurs, it stands either immediately after (Mt 5:34) or before the word it qualifies (1 Cor 5:1; 6:7). Such usage militates against taking holôs here as modifying ouk egeirontai. On the contrary, the two other Pauline passages indicate that it qualifies nekroi, in which case the translation would be ‘if those actually (or: really; or: completely) dead are not raised’. » (Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, New York, Oxford University Press, 2009, p. 248.). νεκροὶ οὐκ ἐγείρονται,
τί καὶ βαπτίζονται ὑπὲρ αὐτῶν;

 

En d’autres mots, Paul affirme essentiellement cet argument conditionnel : si la résurrection des morts n’existe pas, alors il est inutile de se faire « baptiser pour les morts ». Paul souligne l’implication future pour ceux qui se font baptiser (« que feront ceux qui se font baptiser pour les morts ? ») et non l’inutilité de cette pratique pour les morts eux-mêmes. L’argument de Paul est que si la résurrection est fiction, alors cela serait dévastateur pour « ceux qui se font baptiser pour les morts ». Comme nous le verrons, ceux qui se font « baptiser pour les morts », ce sont les apôtres, comme Paul, qui risquent leur vie constamment pour annoncer l’Évangile à des gens « condamnés à mort » (voir les versets 30 à 32). Que feront ceux qui risquent leur vie pour annoncer la résurrection des morts, si les morts ne ressuscitent pas ? N’ayant pas de raison d’être à leur « labeur » (cf. 1 Co 15,58), ils arrêteront de prêcher plutôt que de risquer leur vie pour rien : « mangeons et buvons, car demain nous mourrons ». (1 Co 15,

Revenons à la syntaxe de 1 Co 15,29 et à l’idée d’abord affirmée par Tertullien, que Paul fait référence à cette pratique sans la cautionner. Cet argument conditionnel de Paul repose sur une logique qui ne remet pas en question la pratique du « baptême pour les morts », mais qui en souligne la rationalité, à condition de croire en la résurrection des morts. Ainsi, si la résurrection des morts n’existe pas, cela rend le « baptême pour les morts » inutile. Mais la logique demande que, de façon positive, l’argument de Paul revient à ceci : si le « baptême pour les morts » est utile, cela implique qu’il y a une résurrection des morts. Paul s’appuie donc sur la prémisse que « la baptême pour les morts » est important et que nier la réalité de la résurrection aurait pour effet indésirable de nier l’utilité du « baptême pour les morts »4Godet voit juste à nouveau, lorsqu’il écrit : « Il ne faut pas confondre l’expression τί ποιήσουσιν, que feront ? avec la forme τί ποιοῦσιν, que font ? La réponse sous-entendue avec le verbe au présent serait : Rien de sensé, c’est une absurdité ; tandis qu’avec le verbe au futur le sens est : quel résultat, quel profit obtiendront-ils ? Réponse : aucun. » (Frédéric Godet, Commentaire sur la Première Épitre aux Corinthiens, Neuchatel, Monnier, 1965, p. 382. Cité par Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, p. 249-250)..

L’interprétation de Tertullien, reprise sans trop de réflexion critique par bien des spécialistes, n’a donc aucune validité5Prenons un autre exemple : si personne ne fréquente la bibliothèque, il n’est pas justifié d’y investir pour ajouter de nouveaux livres. Le respect de cette logique impliquerait que si l’investissement pour de nouveaux livres est justifié, cela signifie que des gens fréquentent la bibliothèque. En termes techniques, l’apodose, qui représente la conséquence (ici, investir dans la bibliothèque pour de nouveaux livres / le « baptême pour les morts »), est valide uniquement si la protase, qui représente la condition, est remplie — c’est-à-dire, si des gens fréquentent effectivement la bibliothèque et l’utilisent / si les morts ressuscitent.. Pour Paul, le baptême pour les morts est une pratique complètement valide et importante, au point de s’en servir dans la polémique sur la réalité de la résurrection pour inciter ces interlocuteurs à reconnaître la gravité de leur négation.

1.2. L’incompatibilité d’une lecture littérale avec la théologie de Paul

Si Paul reconnaît l’utilité du « baptême pour les morts », cela signifie-t-il que la pratique du baptême vicarial des Mormons est légitime ? C’est à cette question que répond ma deuxième objection à l’interprétation littérale : la théologie de l’apôtre contredit à plusieurs égards l’idée d’un « baptême pour les morts » compris de manière littérale. Il est peu probable que Paul envisageait un baptême littéral pour les morts, car pour lui, le baptême représente un acte de foi personnel (Rm 10,9), symbolisant la communion avec le Christ, et non avec les morts6On peut comparer, en 1 Co 10,14-22, la manière dont il traite la question des viandes sacrifiées aux idoles, où la consommation de ces viandes dans les temples païens implique une communion avec des démons, ce qui est totalement incompatible avec la communion avec le Seigneur, qui est jaloux..

De plus, la loi juive interdit de chercher à établir des liens avec les morts (Lv 19,31 ; 20,6 ; Dt 18,10-12). Paul aurait sans doute rejeté l’idée qu’un rite soit absolument nécessaire pour obtenir le salut, aussi importants que soient le baptême et la Cène. Lui-même, en 1 Co 1,13-17, affirme que Christ ne l’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et il mentionne avoir effectué peu de baptêmes parmi les croyants de Corinthe. Si cela avait été aussi crucial et indispensable pour leur salut, il aurait insisté pour baptiser lui-même ces nouveaux croyants7Cela étant dit, le baptême est très important en général dans la théologie paulinienne..

1.3. L’incompatibilité d’une lecture littérale avec le contexte littéraire

Enfin, Murphy-O’Connor présente une excellente raison de rejeter l’interprétation littérale : elle transforme le v. 29 en une mention totalement détachée et sans lien avec le contexte littéraire immédiat, tant en amont qu’en aval. Avant le v. 29, Paul fait référence à la mission du Christ dans l’optique du royaume eschatologique qu’il prépare pour Dieu le Père (1 Co 15,24-28). Après le v. 29, Paul fait référence à sa propre mission et les grandes épreuves qu’il endure avec ses collègues pour l’oeuvre de Christ (1 Co 15,30-32). Dans les deux cas, il y a la notion d’ennemis de Dieu et de résistance à l’oeuvre de Dieu, soit en rapport avec le Christ, soit en rapport avec un « nous » qui désigne sans doute Paul, Timothée, Sylvain, ses co-auteurs (1 Co 1,1).

L’interprétation littérale soutient que Paul interrompt brièvement le fil conducteur centré sur le thème de la mission en contexte ennemi (qui s’étend des v. 24 à 32) pour insérer une « idée éclair » concernant une pratique cultuelle étrange qui, dit-on, avait court à l’intérieur de l’église et que Paul ne cautionnait même pas. L’interprétation métaphorique, quant à elle, considère que le v. 29 exprime symboliquement le coût et le but de la mission apostolique : en annonçant l’Évangile, les apôtres sont baptisés, c’est-à-dire qu’ils mettent en péril leur vie à cause des persécutions qu’ils subissent afin de transmettre l’Évangile et ainsi sauver ceux et celles qui sont existentiellement morts.

1.4. La faiblesse de la lecture littérale du point de vue des opposants

Frédéric Godet a raison d’affirmer qu’un tel argument – basé sur une lecture littérale – n’aurait aucun poids pour ceux qui, à la base, ne croient pas en la résurrection :

Les adversaires qu’il prétendait convaincre par ce moyen lui auraient répondu sans doute qu’on ne prouve pas une absurdité par une absurdité plus grande; car rejetant la résurrection des corps, ils auraient évidemment rejeté le baptême pour les morts ainsi compris8Frédéric Godet, Commentaire sur la Première Épitre aux Corinthiens, Neuchatel, Monnier, 1965, p. 382. Cité par Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, p. 249-250..

Au contraire, si Paul fait référence à « ceux qui sont détruits pour annoncer l’Évangile à ceux qui sont morts existentiellement », son argument est solide : il revient alors à demander pourquoi les apôtres acceptent de souffrir pour fonder des communautés de croyants, comme celle des Corinthiens. Paul cherche à faire comprendre que c’est tout le mouvement chrétien qui est remis en question par ceux qui nient la résurrection à Corinthe.

2. Une double métaphore

Dans son article intitulé « ‘Baptized for the Dead’ (1 Cor 15:29): A Corinthian Slogan? », Jerome Murphy-O’Connor nous met sur la bonne piste :

Si hoi baptizomenoi [ceux qui se font baptisés] signifie « ceux qui sont détruits » dans et par leur labeur apostolique, il semble plus naturel d’interpréter hoi nekroi [pour les morts] comme une référence à ceux qui étaient « morts » au sens existentiel (cf. Col 2,13), car c’est à eux que Paul et d’autres adressaient leur prédication9Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, New York, Oxford University Press, 2009, p. 244..

Il démontre que le verbe « baptiser » revêt fréquemment un sens métaphorique, signifiant « détruire » ou « périr », tandis que le terme « mort » peut également avoir une connotation existentielle. Bien que j’adhère à l’essentiel de sa thèse — selon laquelle le baptême pour les morts constitue une double métaphore renvoyant au labeur apostolique, où les apôtres sont éprouvés et risquent la mort pour des personnes “mortes existentiellement” —, je propose une approche différente pour approfondir le contexte sous-jacent à cette double métaphore et la signification de celle-ci.

2.1. Le baptême comme image de destruction et de mise à mort

Dans son article, Murphy-O’Connor démontre que le sens symbolique des mots « baptiser » et « morts » surtout à partir de la théologie de Philon d’Alexandrie, puisqu’il affirme que cette théologie a été introduite à Corinthe par Apollos, mais qu’elle a été déformée par certains Corinthiens10Murphy-O’Connor illustre cette interprétation par plusieurs exemples tirés de la littérature ancienne, notamment en s’appuyant sur l’enseignement de Philon d’Alexandrie. Apollos, qui a eu une influence significative sur l’Église de Corinthe, était originaire d’Alexandrie, une ville où il avait sans doute été exposé aux enseignements de Philon. Dans De allegoriis legum 3.71-4 (Allégories des lois), Philon compare la manière dont les philosophes prennent soin de leur âme à celle dont les athlètes entretiennent leur corps. Il affirme que la quête des philosophes est plus noble, car elle s’oriente vers les réalités divines, tandis que le souci du corps demeure lié aux choses matérielles, perçues comme mauvaises et hostiles à l’âme. Il en vient alors à présenter le corps comme étant « mort existentiellement », lorsqu’il déclare ceci au sujet du philosophe : « Sa seule préoccupation est que cette chose mauvaise et morte [son corps] ne nuise pas à l’âme… Quand, ô mon âme, comprendras-tu pleinement que tu portes une chose morte [le corps] ? » (Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, p. 246) De plus, Murphy O’Connor démontre que Philon utilise le verbe “baptiser” au moins trois fois avec le sens de “détruire”. Toutefois, chez Philon, ce terme est toujours employé dans le contexte de la destruction des “passions du corps” ou de la “pensée”.

Essentiellement, Murphy-O’Connor soutient que, dans 1 Co 15,29, Paul reprend les propos de certains Corinthiens à son égard, leur perspective étant influencée par une compréhension erronée des enseignements d’Apollos sur les « morts », c’est-à-dire ceux qui se préoccupent uniquement de leur corps sans rechercher la vertu, à l’inverse des philosophes. Il s’agirait donc d’un slogan corinthiens que Paul reprend : « Ici, selon mon hypothèse, Paul accepte la raillerie des Corinthiens selon laquelle il travaillait [comme missionnaire] inutilement au point de risquer la mort lui-même et l’utilise comme base d’un argument contre eux, à savoir : “Me donnerais-je ainsi la mort, à moins de croire véritablement en la résurrection ?” »

Bien que la thèse de Murphy-O’Connor soit globalement juste — en ce sens que l’expression “baptême pour les morts” renvoie probablement à “ceux qui sont détruits pour des personnes mortes existentiellement” —, il ne me semble pas nécessaire de supposer l’existence d’un “slogan corinthien” en 1 Co 15,29 ni d’affirmer que Paul aurait concédé, même ironiquement, cette représentation philonienne des “morts existentiels”, fondée sur une opposition radicale entre le corps, perçu comme mauvais, et l’âme, considérée comme noble. Justement parce qu’il rejette cette vision négative du corps, il me semble improbable que Paul ait fait une telle concession. Une explication plus simple et plus convaincante peut être envisagée.
. Il fait aussi référence à Marc 10,35-45 et Luc 12,50 comme exemple d’usage métaphorique du mot « baptiser », sans approfondir ces passages11Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, New York, Oxford University Press, 2009, p. 244.. Ils sont pourtant cruciaux à la compréhension que Paul se fait du « baptême pour les morts ».

En Marc 10,35-45, les apôtres Jacques et Jean, deux frères, demandent à Jésus s’ils peuvent siéger à sa droite et à sa gauche lorsqu’il régnera dans la gloire. En réponse, Jésus emploie le verbe βαπτισθῆναι, un infinitif passif (« être baptisé »), de manière métaphorique pour faire référence à sa mort par crucifixion : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » (Mc 10,39) Ils répondent – sans savoir vraiment de quoi ils parlent – en affirmant qu’ils sont en mesure de boire cette coupe et passer par ce « baptême ». Surprenamment, Jésus poursuit en les validant : « La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés. » (Mc 10,39) Première remarque : boire la coupe et être baptisé du baptême sont ici des expressions synonymes. Il s’agit de deux expressions métaphoriques qui indiquent un même réalité à venir, conformément au parallélisme synonymique souvent utilisée dans la pensée sémitique.

Nous savons que « boire la coupe » fait référence à ses souffrances et à sa mort par crucifixion à venir, non seulement parce qu’il s’agira du symbole qui sera employé par Jésus dans la Cène pour illustrer le don de sa vie (Mc 14,23), mais aussi puisque dans le jardin de Gethsémanée, Jésus priera le Père en disant « Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe ! » (Mc 14,36). À la fin de l’épisode où Jésus combat spirituellement au Jardin de Gehtsémanée, il affirme ceci : « L’heure est venue : voici, le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. » C’est alors qu’il commence à « boire la coupe » et à « être baptisé du baptême » dont il parlait à ses apôtres Jacques et Jean : être livré devant le tribunal juif, le Sanhédrin, être faussement accusé, se faire cracher au visage, se faire frappé, se faire moqué, et enfin crucifié.

Mais même sans le récit de la passion, nous aurions pu savoir que ce baptême avait sûrement quelque chose à voir avec le fait de « donner sa vie pour les autres », puisqu’après la controverse suscitée parmi les apôtres à cause de la demande de Jacques et Jean, Jésus affirmait à ses disciples qu’ils ne doivent par rechercher les positions d’honneur et de gloire comme les dirigeants du monde : « Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude (δοῦναι τὴν ψυχὴν αὐτοῦ λύτρον ἀντὶ πολλῶν)12Bien que le sens premier de la préposition ἀντί soit celui de substitution (« en rançon à la place des multitudes »), l’idée d’un bénéfice en faveur de quelqu’un peut émerger selon le contexte. Ici, la préposition ἀντί met en évidence que le don de la vie est « en faveur » des multitudes (« pour les multitudes »), de façon similaire à la préposition ὑπέρ avec le génitif que l’on retrouve en 1 Co 15,29 dans l’expression « baptême pour [ὑπὲρ] les morts ». L’affirmation de Jésus en Mc 10,45 représente le fondement de la tradition orale dont rend compte 1 Tm 2,6, qui reprend l’idée de « donner sa vie/soi-même en rançon pour tous », en utilisant ὑπὲρ au lieu de ἀντί. À noter qu’on retrouve ὑπὲρ aussi dans les traditions de 1 Co 11,23-25 et 15,3-5. Cette dernière proclation se trouve dans même chapitre où apparaît « le baptême pour les morts ». Bref, ἀντί possède le sens de l’échange ou de la substitution (« à la place de »), mais, selon les contexte, se rapproche de ὑπὲρ qui met en avant l’idée du bénéfice (« en faveur de » quelqu’un), au même titre que ὑπέρ (Voir Murray J. Harris, Prepositions and Theology in the Greek New Testament, Grand Rapids MI, Zondervan, 2012, p. 209.).. » (Mc 10,45) Le baptême de Jésus, le don de sa vie, est pour les multitudes et c’est dans cette optique que les apôtres sont appelés à imiter leur maître.

En Lc 12,50, Jésus y annonce aussi sa mort en employant le verbe « baptiser » au passif (« être baptisé »), comme en Mc 10,38-39 et 1 Co 15,29. Il dit littéralement ceci : « J’ai un baptême à ‘être baptisé’ (βάπτισμα δὲ ἔχω βαπτισθῆναι), et comme cela me pèse jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » L’expression « un baptême à être baptisé » (βάπτισμα βαπτισθῆναι) est identique en Lc 12,50 et en Mc 10,38, mais l’environnement littéraire diffère. En Marc, la mention de la nécessité « d’être baptisé » au sens de « être mis à mort », précède la Passion de Jésus, alors qu’en Luc 12,50, elle s’inscrit dans le contexte de la raison d’être de sa mission et des divisions que sa venue causera sur la terre et dans les familles (Lc 12,49-53). Le contexte de cette expression chez Luc s’apparente donc au contexte de 1 Co 15,29 dans l’optique où Paul parle des ennemis du Christ en amont (15,24-28) et de ses propres souffrances occasionnées par « les bêtes à Éphèse » qu’il a dû affrontées (une autre métaphore, pour faire référence à ses opposants), mentionnés en aval (1 Co 15,30-33).

Comment les Corinthiens ont-ils été informés de cette parole de Jésus concernant le fait que lui et ses apôtres devaient « être baptisés » au sens de « donner sa vie pour les multitudes » ? Cette connaissance est probablement parvenue aux Corinthiens par l’entremise de l’apôtre Pierre lui-même13Stephan Witetschek, « Peter in Corinth? A Review of the Evidence from 1 Corinthians », Journal of Theological Studies 69/1 (2018), p. 66-82. Il est intéressant de remarquer que la première épître de Pierre affirme que « l’Évangile a été annoncé aux morts ». Après avoir fait référence aux faits que les païens devront être jugés par Dieu, Pierre écrit, en 1 P 4,6 : « C’est pour cela, en effet, que même aux morts la bonne nouvelle a été annoncée, afin que, jugés selon les hommes dans la chair, ils vivent selon Dieu par l’Esprit. ». François Lestang explique qu’il ne s’agit pas d’une allusion à la prédication du Christ dans le séjour des morts, comme les Pères de l’Église l’ont souvent interprété : « On peut ainsi supposer, à partir de l’affirmation que certains des membres de la communauté éprouvées ont été ‘jugés selon la chair’, qu’ils ont probablement été éxécutés. Mais, de même que le Christ a souffert et a été mis à mort dans la chair, pour être vivifié dans l’Esprit (1 P 3,18), de même les croyants qui ont souffert et ont été mis à mort. Puisqu’ils ont cru à l’annonce de la Bonne Nouvelle et ont été considérés comme malfaiteurs (kakopoios, 1 P 2,12.14 ; 3,17 ; 4,15), ils ont l’espérance de la vie en Dieu dans l’Esprit. (…) Par conséquent, la lecture la plus cohérente du texte n’est pas de voir Jésus aller prêcher la conversion au sein des enfers à Adam et à tous les morts, pour les en faire sortir, mais de rappeler à la communauté éprouvée que leurs frères de foi qui sont morts ont une vraie espérance en Dieu. » (François Lestang, Les lettres de Pierre et de Jude, Paris, Cerf (coll. Mon ABC de la Bible), 2025, p. 92)., qui semble avoir visité cette Église (1 Co 1,12, 3,22, 9,5, 15,5.11), ou encore par l’entremise de Paul, qui a transmis des traditions remontant à Jésus lui-même, notamment la tradition relative à la Cène (1 Co 11,23-25), qui comprend la même idée de donner sa vie « pour » des personnes. Paul a lui-même rencontré Pierre pendant trois semaines, trois ans après sa conversion (Ga 1,18-19). Dans tous leurs échanges, Pierre a sans doute informé Paul que Jésus a averti ses apôtres qu’ils devaient être prêts à renoncer à leur vie pour le suivre, à prendre leur croix, à « boire la coupe qu’il a dû boire et être baptisé du baptême dont il devait être baptisé »14Certains indices démontrent que Paul devait connaître une de ces paroles reliées au baptême de Jésus et des apôtres. Dès sa première lettre, celle aux Thessaloniciens, Paul souligne que les croyants de cette communauté ont été ses « imitateurs et ceux du Seigneur, en recevant la parole au milieu de beaucoup de tribulations » (1 Th 1,3). Il ajoute par la suite que les Thessaloniciens savent qu’ils sont « destinés » aux épreuves : « lorsque nous étions auprès de vous, nous vous annoncions d’avance que nous serions exposés à des tribulations, comme cela est arrivé, et comme vous le savez. » (1 Th 3,13-14) Dans cette même lettre, deux fois Paul affirme avoir transmis aux Thessaloniciens des enseignements provenant de Jésus (1 Th 4,2.15). Une de ces traditions orales transmises concernent sans doute la « venue du Seigneur comme un voleur dans la nuit » (1 Th 5,2). Il est remarquable de trouver un enseignement similaire en Lc 12,35-48, qui se trouve juste avant la fameuse mention de la nécessité pour le Christ d’être baptisé et d’apporter un feu et des divisions sur la terre (en Lc 12,50). Il y a plusieurs convergences entre les deux textes : la nécessité de veiller (Lc 23,37 et 1 Th 5,6 : γρηγορέω, « veiller » ou « être vigilant »), de ne pas s’enivrer (Lc 12,45 et 1 Th 5,7 :  μεθύσκομαι), l’idée qu’un jour le kurios viendra sans prévenir (Lc 12,37 et 1 Th 5,2), comme un voleur (Lc 12,37 et 1 Th 5,2.4 : κλέπτης). Paul connaissait-il, dès l’an 50, les traditions orales rapportées par Luc au ch. 12, v. 35-53 de son Évangile ? Il est probable qu’il en connaissait l’essence, oui, surtout si l’on considère que Luc et Paul ont collaborés dans la mission à plusieurs reprises (Col 4,14 ; 2 Tm 4,11 ; Phm 24 ; Ac 16,10-17, 20,5-15, 21,1-18, 27,1-28,16.)..

Que ce soit en Judée avec Jésus, en Égypte avec Philon d’Alexandrie ou à Rome avec Flavius Josèphe15Dans La Guerre des Juifs 4,137, Flavius Josèphe utilise l’expression « baptiser » figurativement : βαπτίζειν τὴν πόλιν, « Amener la ville au bord de la destruction »., l’usage figuratif du mot « baptiser » pour signifier « être détruit » est largement répandu dans le monde gréco-romain, comme l’affirme Albrecht Oepke :

Dans le monde hellénistique, le mot « baptiser » au « sens de “se baigner” ou “laver” ne se retrouve qu’occasionnellement […], généralement dans des contextes sacrés. L’idée de plonger sous l’eau ou de périr est plus proche de l’usage général16Albrecht Oepke, “Βάπτω, Βαπτίζω, Βαπτισμός, Βάπτισμα, Βαπτιστής,” dans Gerhard Kittel, Geoffrey W. Bromiley et Gerhard Friedrich (éd.), Theological Dictionary of the New Testament, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, p. 530 (je traduis)..

Cette utilisation si répandue du sens figuratif du mot « baptiser » fait en sorte que l’objection selon laquelle Paul n’utilise pas ailleurs le mot « baptême » au sens de « être détruit » ne tient pas17Puisque Paul n’utilise pas ailleurs le verbe « être baptisé » au sens de « être détruit », Murphy-O’Connor soutient que Paul, en 1 Co 15,29, fait référence à un « slogan corinthien »..

Bref, « ceux qui se font baptisés » représentent donc les apôtres, qui sont « baptisés du même baptême que Jésus », c’est-à-dire qui donne leur vie, en souffrant et en étant confronté à la mort comme Jésus. Ils le font pour qui ? C’est maintenant à cette question que je vais répondre.

2.2. Les « morts » : un symbole des « condamnés à mort »

Pour Paul, la condition humaine est largement définie par l’inévitabilité de la mort qui attend chacun. Par exemple, en 1 Corinthiens, l’apôtre désigne ceux qui n’ont pas l’espérance de l’immortalité offerte par le Christ avec l’expression : “ceux qui périssent” (1 Co 1,18 ; cf. 2 Co 2,15, 4,3 ; 2 Th 2,10). Cette expression illustre bien comment Paul confond le sort ultime d’un groupe avec leur condition existentielle présente18Pour Paul, ce sort ultime est changeant : de toute évidence, les incroyants peuvent devenir croyants, et les croyants peuvent devenir incroyants, passant ainsi de la mort à la vie ou de la vie à la mort, mais seulement lorsqu’il y a une confession explicite de la foi, ou un abandon explicite de celle-ci. Voir 1 Co 8,7-13, 10,1-11, 15,1-3, etc. Dans l’affirmation de la foi, le croyant peut avoir une pleine confiance en son salut (cf. Rm 8,35-39).. Le contraire est aussi vrai : il appelle les croyants « ceux qui sont sauvés » (τοῖς σῳζομένοις), même si cela n’est pas encore une réalité absolue et immuable19En 1 Corinthiens, après avoir désigné les croyants de Corinthe comme « ceux qui sont sauvés », il leur rappelle en plusieurs endroit que leur salut est en jeu en fonction de la rétention ou l’abandon explicite de leur foi, allant jusqu’à s’inclure lui-même dans la possibilité de « tomber » : 1 Co 9,27, 10,1-12, 15,1-3 entre autres. En Romains 8,24, Paul affirme que « c’est par espérance que nous sommes sauvés »..

Il en va de même pour « ceux qui sont morts ». Le mot peut désigner les personnes qui sont condamnées à mourir sans l’espérance chrétienne, à cause de leur refus de croire20En Dieu en tant que créateur qui se révèle par l’entremise de la création et la conscience (Rm 1) et en Christ lorsque l’Évangile leur est annoncé (Rm 10).. Pour Paul, tout être humain est imparfait, coupable face à la loi morale de Dieu – que ce soit celle de notre conscience ou la loi de Moïse -, et mérite de mourir à cause des fautes commises.

Ailleurs dans ses épîtres, Paul utilise métaphoriquement le mot « morts » pour désigner ceux qui, sans l’espérance de la vie éternelle que Dieu donne grâce à Jésus, sont en quelque sorte « déjà morts » puisqu’ils vivent comme des « condamnés à mort ». Cela est manifeste dans l’épître aux Romains, entre autres. En Rm 3,23, par exemple, Paul affirme que « le salaire du péché, c’est la mort ». Ici, la mort en question est à venir et concrète. Plus loin, en parlant de l’être humain en général comme s’il parlait de lui-même, il explique que lorsqu’il a connu la loi de Dieu et l’a transgressée pour la première fois, « le péché a repris vie, et moi, je suis mort » (Rm 7,9).  Ici, la mort est figurative : certains affirmerait que Paul se dit alors « mort spirituellement ». Je pense qu’il est plus juste de dire que Paul se décrit alors comme « condamné à mort », car il disait plus tôt que « le salaire du péché, c’est la mort »21En Rm 7,21-22, Paul utilise l’image de l’arbre qui porte des fruits en fonction d’une finalité (d’un telos), soit la mort, soit la vie éternelle (cf. Rm 8,6.10-13). Plus tôt, en Rm 6,16, il affirme que le péché conduit à la mort et l’obéissance conduit à la vie. Ainsi est mis en relief le fait d’être mort dans l’optique d’une destinée et non premièrement d’un état spirituel. Paul ne dit pas « le péché cause la mort de l’esprit ». Si c’était le cas, on pourrait parler plus justement d’une « mort spirituelle ». La même logique basée sur un futur à venir se trouve en Ga 6,8, avec l’image « semer/récolter » : « Celui qui sème pour sa propre chair récoltera ce que produit la chair : la corruption. Celui qui sème pour l’Esprit récoltera ce que produit l’Esprit : la vie éternelle. » En fait, pour Paul, la mort spirituelle a plus à voir avec le fait que les croyants « meurent avec Christ », ce que symbolise le baptême, comme le voit clairement en Rm 6,5-11, où la seule façon de comprendre la pensée de Paul, c’est d’y voir une mort spirituelle avec le Christ. Considérons seulement Rm 6,8 : « Mais si nous sommes [spirituellement] morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. » Paul pense alors à l’union mystique et spirituelle du croyant avec le Christ (cf. 1 Co 6,17).. Cela est confirmé en Rm 7,13, où Paul affirme que ce n’est pas la loi qui est mauvaise en soi, mais que le « péché » se sert du commandement pour « donner la mort ». Paul conclut cette section sur l’être humain en général avec un sombre constat et une question : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? » La Bible d’étude TOB propose de paraphraser ainsi ces propos de Paul : « Qui me délivrera de mon ‘moi’, captif du péché et voué à la mort ». Bref, la résultante de celui qui pèche, c’est de mourir ultimement. Et les condamnés à morts sont déjà « morts » dans l’optique du futur, au même titre que « les sauvés » le sont « en espérance » (Rm 8,24), dans l’optique d’un futur encore à venir. De plus, Rm 6,1-14 illustre parfaitement comment Paul peut passer d’une signification à l’autre en rapport avec le sens du même mot « morts » ou « mort », un peu comme il le fait en 1 Co 15,29. Le moindre qu’on puisse dire est que le mot « mort » et les images connexes sont très polysémique dans cette section. Il commence au v. 2 en affirmant que les croyants sont « morts au péché » de sorte qu’ils ne peuvent « vivre dans le péché ». Ici, la mort est symbolique, mais cette mort symbolique est basée sur la mort réelle de Jésus, puisque « c’est en sa mort que nous avons été baptisés ».

La littérature paulinienne contient beaucoup d’autres exemples où les incroyants sont désignés comme des « morts » à cause de leur finalité reliée à leurs offenses envers Dieu22Éphésiens 2,1-5 : “Vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels vous marchiez autrefois, selon le train de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, de l’esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion. Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous, qui étions par nature des enfants de colère, comme les autres. Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous a rendus à la vie avec Christ, nous qui étions morts par nos offenses.” Colossiens 2,13 : “Vous qui étiez morts par vos offenses et par l’incirconcision de votre chair, il vous a rendus à la vie avec lui, en nous faisant grâce pour toutes nos offenses.” 1 Timothée 5,6 : « Mais celle qui vit dans les plaisirs est morte, quoique vivante.” ou comme désignant le « côté terrestre », le « côté porté vers le péché » des croyants comme étant « mort », c’est-à-dire comme étant sans relation avec cette « partie » de la condition humaine23Romains 8:10 Et si Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Colossiens 3,3 : “Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu.” Ici, Paul parle des croyants qui sont « morts » au monde, mais auparavant ils étaient aussi existentiellement morts dans le péché. Galates 2,19 : « Car moi, c’est par la loi que je suis mort à la loi, afin de vivre pour Dieu. » Comme Jésus qui a été crucifié à cause de la loi, pour libérer l’humanité de la loi, Paul affirme la réalisation de la mort et la résurrection de Christ en lui, source d’un nouveau principe directeur de vie pour plaire à Dieu. Paul est désormais « mort à la loi », c’est-à-dire qu’il y a une rupture définitive entre lui et la loi, il en est libéré. Galates 6,28 : « Pour ce qui me concerne, loin de moi la pensée de me glorifier d’autre chose que de la croix de notre Seigneur Jésus Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde ! » Être crucifié représente une autre façon de dire qu’il est mort au monde, c’est-à-dire sans relation avec les aspects mauvais qui caractérisent les groupes sociaux, sans doute en soulignant aussi le dédain mutuel que suscite chaque « crucifixion ».. Ainsi, Paul utilise le mot « mort » de façon polysémique et il n’hésite pas à utiliser le même mot ou la même expression plusieurs fois, dans le même passage, avec des significations différentes24Par exemple, en Col 2,12, il fait référence à la résurrection des morts (sens littéral), puis dans le verset suivant, il affirme que les croyants étaient « morts à causes de leur fautes » avant de devenir chrétiens (sens symbolique 1), alors qu’en Col 3,3, les croyants « sont morts », par rapport au « monde terrestre » (sens symbolique 2). En 1 Th 5,6-7, Paul parle de « ceux qui veillent » et « ceux qui dorment » au sens symbolique d’être « vigilants » ou « négligents » puis soudainement il utilise les mêmes mots grecs pour désigner ceux qui sont « vivant » (« ceux qui veillent ») et « ceux qui sont morts » (« ceux qui dorment »), en 1 Th 5,10..

2.3. Une lecture cohérente avec l’argumentation en 1 Co 15

Relire 1 Co 15,29 dans son contexte littéraire immédiat avec la compréhension qu’il s’agit d’une double métaphore est très satisfaisant. La logique et l’argumentation deviennent claires. Voici comment cette interprétation est cohérente si on reformule les propos de Paul à la lumière de ces informations :

  • Dans les v. 12 à 19 : Les conséquences désastreuses pour la foi chrétienne si la résurrection d’entre les morts est impossible
  • Dans les v. 20 à 28 : Les implications de la résurrection de Christ pour les croyants et la fin des temps
  • Dans les v. 29 à 33 : Les conséquences désastreuses pour la foi chrétienne si la résurrection d’entre les morts est impossible

En 1 Co 15,20-28, Paul résume la mission du Christ de sa résurrection jusqu’à l’établissement final du royaume de Dieu dans la fin des temps. Après avoir mentionné la mission du Seigneur ressuscité, Paul en vient à la mission des apôtres en parlant premièrement de façon générale au v. 29 (à la troisième personne du pluriel), puis à la première personne du pluriel en faisant référence à lui-même, Sylvain et Timothée (le « nous rédactionnel » de 1 Co 1,1), puis à la première personne du singulier en parlant de lui-même au v. 3125Le chiasme en 1 Co 10,1-11 possède une transition similaire du point de vue des pronoms – ils/eux / vous / nous..

Bref, si je paraphrase les propos de Paul en 1 Co 15,29-33, cela donnerait ceci :

29Si les morts ne ressuscitent pas et que Christ n’a pas vaincu la mort, que feront ceux qui sont détruits et qui vont jusqu’à mourrir pour annoncer l’Évangile à des gens « existentiellement morts » ? Si ceux qui sont complètement morts ne ressuscitent pas, pourquoi les apôtres se font-ils détruire pour eux, pour ceux qui sont « existentiellement morts » ? 30Et nous-mêmes, pourquoi à tout moment sommes-nous en danger ? 31Tous les jours, je meurs, aussi vrai, frères, que vous êtes ma fierté en Jésus Christ notre Seigneur. 32A quoi m’aurait servi de combattre contre les bêtes à Ephèse si je m’en tenais à des vues humaines ? Si j’ai frôlé la mort à Éphèse (cf. 2 Co 1,7-11), pourquoi aurais-je été jusque là si mon espérance ancrée dans le Christ ressuscité que j’ai moi-même vu n’est pas réelle ? Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons. Autrement dit, nous, les apôtres et ceux qui nous supportent en exposant leur vie comme Sylvain et Timothée, nous devrions arrêter de sacrifier notre vie présente si notre message26Mentionné dans les v. 20 à 28, et les v. 1-11. est faux et qu’aucun avantage de nous attends après la mort. Nous devrions plutôt profiter de la vie au maximum, avant de mourir une fois pour toute, comme les autres. Nous, les apôtres, nous sommes les plus fous des hommes si la résurrection est fiction, car au lieu de profiter de la seule et unique vie que nous avons, nous la sacrifions vainement pour des personnes déjà « mortes existentiellement »27Paul élabore plus en détails ce qu’il avait commencé à mentionner en 1 Co 15,19, à savoir que « si c’est dans cette vie seulement que nous – les apôtres et leurs délégués – espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. » Pendant ce temps, les Corinthiens eux, ont déjà commencé à « régner » (1 Co 4,8).. […] Mais Christ est bien ressuscité et il a bien vaincu la mort ! 57Rendons grâce à Dieu, qui nous donne la victoire sur la mort par notre Seigneur Jésus Christ. 58Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, faites sans cesse des progrès dans l’œuvre du Seigneur, sachant que votre peine (votre labeur) n’est pas vaine dans le Seigneur.

Tous les versets 29 à 33 reviennent donc sur les conséquences désastreuses pour la mission apostolique dans l’optique des « quelques-uns », à Corinthe, qui nient la résurrection. Mais il revient, en conclusion au v. 58, sur le fait que son labeur apostolique n’est pas vain et que celui des Corinthiens « dans l’oeuvre du Seigneur », c’est-à-dire la mission chrétienne, ne l’est pas non plus.

3. En quoi est-ce pertinent ?

Mieux comprendre ce passage est important pour au moins trois raisons.

Premièrement, comprendre l’interprétation symbolique de 1 Co 15,29 permet d’éviter de répéter l’interprétation littérale qui ne contribue qu’à entretenir des confusions théologiques. Il serait préférable d’arrêter d’affirmer que, dans l’Église de Corinthe, certains pratiquaient littéralement le « baptême pour les morts » et que Paul tolérait cette pratique, voire l’utilisait comme argument en faveur de la résurrection des morts. Si des Corinthiens s’étaient réellement substitués à des défunts dans la pratique du baptême, Paul, en tant que Juif scrupuleux, ancien pharisien et profondément attaché aux principes spirituels issus des règles vétérotestamentaires – notamment en ce qui concerne la jalousie de Dieu, qui exige d’être le seul objet de communion spirituelle avec son peuple (cf. 1 C0 10) –, aurait certainement objecté à une telle pratique. Il aurait très probablement consacré une partie significative de sa lettre à la dénoncer et à la corriger.

Deuxièmement, cet article met en évidence l’importance de toujours interpréter un verset difficile à la lumière de son contexte littéraire immédiat afin de discerner la logique de l’auteur. Un auteur biblique introduit rarement une idée sans lien avec son environnement littéraire. L’examen de 1 Co 15,29 met également en évidence la nécessité d’élargir l’analyse au contexte plus vaste de l’œuvre et de « sortir du texte » en s’appuyant sur d’autres écrits contemporains, qu’il s’agisse des lettres de Paul ou de celles de ses contemporains, afin d’approfondir le sens d’un mot. Toutefois, notre interprétation doit avant tout éclaircir la logique de l’argumentation plutôt que de l’embrouiller. Reconnaître que l’expression en question repose sur une double métaphore permet d’intégrer parfaitement le verset dans son contexte, évitant ainsi d’en faire une référence isolée et incohérente, comme si Paul introduisait « un cheveu sur une soupe. »

Enfin, cette question nous aide non seulement à mieux comprendre ce que représente le baptême chrétien, mais aussi à saisir à quel prix et dans quel but « ceux qui se font baptiser pour les morts » s’engagent jusqu’au sacrifice ultime. Nous avons vu que, pour Jésus, « boire la coupe » et « être baptisé du baptême qui était le sien » faisaient déjà allusion aux deux principaux rites chrétiens à venir, qui commémorent le don concret de sa vie et de la Vie pour l’humanité. Il avait également annoncé que ses apôtres seraient, eux aussi, « baptisés » du même baptême que leur maître. En 1 Corinthiens, Paul distingue les apôtres, comme lui, qui risquent fréquemment leur vie pour annoncer l’Évangile, des croyants qui bénéficient du message de la bonne nouvelle sans nécessairement être exposés au même danger.

De nos jours, comme au temps de Paul, les conséquences négatives liées au fait d’être chrétien.ne et d’annoncer l’Évangile s’inscrivent dans un continuum allant de « pratiquement aucune conséquence » à « mourir pour annoncer l’Évangile ». 1 Co 15,29 nous invite à nous souvenir de ceux et celles qui, à l’image du Christ et des apôtres, ont mis leur vie en péril à plusieurs reprises pour annoncer l’Évangile et sont allés jusqu’au martyre afin d’offrir à ceux qui vivent sous la certitude d’une mort à venir l’espérance d’une vie après la mort. Si l’on vit dans un pays permettant la liberté de religion, n’oublions pas que plusieurs chrétiens ailleurs dans le monde encore aujourd’hui n’ont pas cette chance et sont persécutés pour leur foi. Le ministère chrétien Voice of the Martyrs nous rappelle cela en partageant des nouvelles en ce sens. Prions et supportons un tel ministère et les croyants qui vivent ce « baptême pour les morts » concrètement dans des contextes très difficiles. Pour la plupart d’entre nous, qui avons la chance d’être respectés en rapport avec nos croyances religieuses et qui ne sommes pas appelés à faire de tels sacrifices, nous pouvons tout de même nous inspirer de 1 Co 15,29 en méditant sur la façon dont nous acceptons de « mourir » pour partager l’espoir de la vie éternelle à des personnes vivant – consciemment ou pas – comme des condamnées à mort.

Mieux comprendre cette expression dans 1 Corinthiens 15, c’est mieux saisir le prix payé par le Christ et ses apôtres, pour que l’Évangile parvienne jusqu’à nous et nous fasse passer de la mort existentielle à l’espérance de l’immortalité.

Références

Références
1 Frédéric Godet, Commentaire sur la première épître aux Corinthiens (Tome 2), Paris/Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1887, p. 380-381. Godet fait un bref survol de l’histoire des inteprétations aux p. 380-383.
2 Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, New York, Oxford University Press, 2009, p. 242, 249, 254, 285. Je traduis toutes les citations de Murphy-O’Connor.
3 Murphy O’Connor démontre de façon convaincante que cet adverbe vient qualifier le sens relié aux morts, qui fonctionne comme un adjectif attributif : « [I]n the other three NT texts in which the term occurs, it stands either immediately after (Mt 5:34) or before the word it qualifies (1 Cor 5:1; 6:7). Such usage militates against taking holôs here as modifying ouk egeirontai. On the contrary, the two other Pauline passages indicate that it qualifies nekroi, in which case the translation would be ‘if those actually (or: really; or: completely) dead are not raised’. » (Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, New York, Oxford University Press, 2009, p. 248.).
4 Godet voit juste à nouveau, lorsqu’il écrit : « Il ne faut pas confondre l’expression τί ποιήσουσιν, que feront ? avec la forme τί ποιοῦσιν, que font ? La réponse sous-entendue avec le verbe au présent serait : Rien de sensé, c’est une absurdité ; tandis qu’avec le verbe au futur le sens est : quel résultat, quel profit obtiendront-ils ? Réponse : aucun. » (Frédéric Godet, Commentaire sur la Première Épitre aux Corinthiens, Neuchatel, Monnier, 1965, p. 382. Cité par Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, p. 249-250).
5 Prenons un autre exemple : si personne ne fréquente la bibliothèque, il n’est pas justifié d’y investir pour ajouter de nouveaux livres. Le respect de cette logique impliquerait que si l’investissement pour de nouveaux livres est justifié, cela signifie que des gens fréquentent la bibliothèque. En termes techniques, l’apodose, qui représente la conséquence (ici, investir dans la bibliothèque pour de nouveaux livres / le « baptême pour les morts »), est valide uniquement si la protase, qui représente la condition, est remplie — c’est-à-dire, si des gens fréquentent effectivement la bibliothèque et l’utilisent / si les morts ressuscitent.
6 On peut comparer, en 1 Co 10,14-22, la manière dont il traite la question des viandes sacrifiées aux idoles, où la consommation de ces viandes dans les temples païens implique une communion avec des démons, ce qui est totalement incompatible avec la communion avec le Seigneur, qui est jaloux.
7 Cela étant dit, le baptême est très important en général dans la théologie paulinienne.
8 Frédéric Godet, Commentaire sur la Première Épitre aux Corinthiens, Neuchatel, Monnier, 1965, p. 382. Cité par Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, p. 249-250.
9, 11 Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, New York, Oxford University Press, 2009, p. 244.
10 Murphy-O’Connor illustre cette interprétation par plusieurs exemples tirés de la littérature ancienne, notamment en s’appuyant sur l’enseignement de Philon d’Alexandrie. Apollos, qui a eu une influence significative sur l’Église de Corinthe, était originaire d’Alexandrie, une ville où il avait sans doute été exposé aux enseignements de Philon. Dans De allegoriis legum 3.71-4 (Allégories des lois), Philon compare la manière dont les philosophes prennent soin de leur âme à celle dont les athlètes entretiennent leur corps. Il affirme que la quête des philosophes est plus noble, car elle s’oriente vers les réalités divines, tandis que le souci du corps demeure lié aux choses matérielles, perçues comme mauvaises et hostiles à l’âme. Il en vient alors à présenter le corps comme étant « mort existentiellement », lorsqu’il déclare ceci au sujet du philosophe : « Sa seule préoccupation est que cette chose mauvaise et morte [son corps] ne nuise pas à l’âme… Quand, ô mon âme, comprendras-tu pleinement que tu portes une chose morte [le corps] ? » (Jerome Murphy-O’Connor, Keys to First Corinthians: Revisiting the Major Issues, p. 246) De plus, Murphy O’Connor démontre que Philon utilise le verbe “baptiser” au moins trois fois avec le sens de “détruire”. Toutefois, chez Philon, ce terme est toujours employé dans le contexte de la destruction des “passions du corps” ou de la “pensée”.

Essentiellement, Murphy-O’Connor soutient que, dans 1 Co 15,29, Paul reprend les propos de certains Corinthiens à son égard, leur perspective étant influencée par une compréhension erronée des enseignements d’Apollos sur les « morts », c’est-à-dire ceux qui se préoccupent uniquement de leur corps sans rechercher la vertu, à l’inverse des philosophes. Il s’agirait donc d’un slogan corinthiens que Paul reprend : « Ici, selon mon hypothèse, Paul accepte la raillerie des Corinthiens selon laquelle il travaillait [comme missionnaire] inutilement au point de risquer la mort lui-même et l’utilise comme base d’un argument contre eux, à savoir : “Me donnerais-je ainsi la mort, à moins de croire véritablement en la résurrection ?” »

Bien que la thèse de Murphy-O’Connor soit globalement juste — en ce sens que l’expression “baptême pour les morts” renvoie probablement à “ceux qui sont détruits pour des personnes mortes existentiellement” —, il ne me semble pas nécessaire de supposer l’existence d’un “slogan corinthien” en 1 Co 15,29 ni d’affirmer que Paul aurait concédé, même ironiquement, cette représentation philonienne des “morts existentiels”, fondée sur une opposition radicale entre le corps, perçu comme mauvais, et l’âme, considérée comme noble. Justement parce qu’il rejette cette vision négative du corps, il me semble improbable que Paul ait fait une telle concession. Une explication plus simple et plus convaincante peut être envisagée.

12 Bien que le sens premier de la préposition ἀντί soit celui de substitution (« en rançon à la place des multitudes »), l’idée d’un bénéfice en faveur de quelqu’un peut émerger selon le contexte. Ici, la préposition ἀντί met en évidence que le don de la vie est « en faveur » des multitudes (« pour les multitudes »), de façon similaire à la préposition ὑπέρ avec le génitif que l’on retrouve en 1 Co 15,29 dans l’expression « baptême pour [ὑπὲρ] les morts ». L’affirmation de Jésus en Mc 10,45 représente le fondement de la tradition orale dont rend compte 1 Tm 2,6, qui reprend l’idée de « donner sa vie/soi-même en rançon pour tous », en utilisant ὑπὲρ au lieu de ἀντί. À noter qu’on retrouve ὑπὲρ aussi dans les traditions de 1 Co 11,23-25 et 15,3-5. Cette dernière proclation se trouve dans même chapitre où apparaît « le baptême pour les morts ». Bref, ἀντί possède le sens de l’échange ou de la substitution (« à la place de »), mais, selon les contexte, se rapproche de ὑπὲρ qui met en avant l’idée du bénéfice (« en faveur de » quelqu’un), au même titre que ὑπέρ (Voir Murray J. Harris, Prepositions and Theology in the Greek New Testament, Grand Rapids MI, Zondervan, 2012, p. 209.).
13 Stephan Witetschek, « Peter in Corinth? A Review of the Evidence from 1 Corinthians », Journal of Theological Studies 69/1 (2018), p. 66-82. Il est intéressant de remarquer que la première épître de Pierre affirme que « l’Évangile a été annoncé aux morts ». Après avoir fait référence aux faits que les païens devront être jugés par Dieu, Pierre écrit, en 1 P 4,6 : « C’est pour cela, en effet, que même aux morts la bonne nouvelle a été annoncée, afin que, jugés selon les hommes dans la chair, ils vivent selon Dieu par l’Esprit. ». François Lestang explique qu’il ne s’agit pas d’une allusion à la prédication du Christ dans le séjour des morts, comme les Pères de l’Église l’ont souvent interprété : « On peut ainsi supposer, à partir de l’affirmation que certains des membres de la communauté éprouvées ont été ‘jugés selon la chair’, qu’ils ont probablement été éxécutés. Mais, de même que le Christ a souffert et a été mis à mort dans la chair, pour être vivifié dans l’Esprit (1 P 3,18), de même les croyants qui ont souffert et ont été mis à mort. Puisqu’ils ont cru à l’annonce de la Bonne Nouvelle et ont été considérés comme malfaiteurs (kakopoios, 1 P 2,12.14 ; 3,17 ; 4,15), ils ont l’espérance de la vie en Dieu dans l’Esprit. (…) Par conséquent, la lecture la plus cohérente du texte n’est pas de voir Jésus aller prêcher la conversion au sein des enfers à Adam et à tous les morts, pour les en faire sortir, mais de rappeler à la communauté éprouvée que leurs frères de foi qui sont morts ont une vraie espérance en Dieu. » (François Lestang, Les lettres de Pierre et de Jude, Paris, Cerf (coll. Mon ABC de la Bible), 2025, p. 92).
14 Certains indices démontrent que Paul devait connaître une de ces paroles reliées au baptême de Jésus et des apôtres. Dès sa première lettre, celle aux Thessaloniciens, Paul souligne que les croyants de cette communauté ont été ses « imitateurs et ceux du Seigneur, en recevant la parole au milieu de beaucoup de tribulations » (1 Th 1,3). Il ajoute par la suite que les Thessaloniciens savent qu’ils sont « destinés » aux épreuves : « lorsque nous étions auprès de vous, nous vous annoncions d’avance que nous serions exposés à des tribulations, comme cela est arrivé, et comme vous le savez. » (1 Th 3,13-14) Dans cette même lettre, deux fois Paul affirme avoir transmis aux Thessaloniciens des enseignements provenant de Jésus (1 Th 4,2.15). Une de ces traditions orales transmises concernent sans doute la « venue du Seigneur comme un voleur dans la nuit » (1 Th 5,2). Il est remarquable de trouver un enseignement similaire en Lc 12,35-48, qui se trouve juste avant la fameuse mention de la nécessité pour le Christ d’être baptisé et d’apporter un feu et des divisions sur la terre (en Lc 12,50). Il y a plusieurs convergences entre les deux textes : la nécessité de veiller (Lc 23,37 et 1 Th 5,6 : γρηγορέω, « veiller » ou « être vigilant »), de ne pas s’enivrer (Lc 12,45 et 1 Th 5,7 :  μεθύσκομαι), l’idée qu’un jour le kurios viendra sans prévenir (Lc 12,37 et 1 Th 5,2), comme un voleur (Lc 12,37 et 1 Th 5,2.4 : κλέπτης). Paul connaissait-il, dès l’an 50, les traditions orales rapportées par Luc au ch. 12, v. 35-53 de son Évangile ? Il est probable qu’il en connaissait l’essence, oui, surtout si l’on considère que Luc et Paul ont collaborés dans la mission à plusieurs reprises (Col 4,14 ; 2 Tm 4,11 ; Phm 24 ; Ac 16,10-17, 20,5-15, 21,1-18, 27,1-28,16.).
15 Dans La Guerre des Juifs 4,137, Flavius Josèphe utilise l’expression « baptiser » figurativement : βαπτίζειν τὴν πόλιν, « Amener la ville au bord de la destruction ».
16 Albrecht Oepke, “Βάπτω, Βαπτίζω, Βαπτισμός, Βάπτισμα, Βαπτιστής,” dans Gerhard Kittel, Geoffrey W. Bromiley et Gerhard Friedrich (éd.), Theological Dictionary of the New Testament, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, p. 530 (je traduis).
17 Puisque Paul n’utilise pas ailleurs le verbe « être baptisé » au sens de « être détruit », Murphy-O’Connor soutient que Paul, en 1 Co 15,29, fait référence à un « slogan corinthien ».
18 Pour Paul, ce sort ultime est changeant : de toute évidence, les incroyants peuvent devenir croyants, et les croyants peuvent devenir incroyants, passant ainsi de la mort à la vie ou de la vie à la mort, mais seulement lorsqu’il y a une confession explicite de la foi, ou un abandon explicite de celle-ci. Voir 1 Co 8,7-13, 10,1-11, 15,1-3, etc. Dans l’affirmation de la foi, le croyant peut avoir une pleine confiance en son salut (cf. Rm 8,35-39).
19 En 1 Corinthiens, après avoir désigné les croyants de Corinthe comme « ceux qui sont sauvés », il leur rappelle en plusieurs endroit que leur salut est en jeu en fonction de la rétention ou l’abandon explicite de leur foi, allant jusqu’à s’inclure lui-même dans la possibilité de « tomber » : 1 Co 9,27, 10,1-12, 15,1-3 entre autres. En Romains 8,24, Paul affirme que « c’est par espérance que nous sommes sauvés ».
20 En Dieu en tant que créateur qui se révèle par l’entremise de la création et la conscience (Rm 1) et en Christ lorsque l’Évangile leur est annoncé (Rm 10).
21 En Rm 7,21-22, Paul utilise l’image de l’arbre qui porte des fruits en fonction d’une finalité (d’un telos), soit la mort, soit la vie éternelle (cf. Rm 8,6.10-13). Plus tôt, en Rm 6,16, il affirme que le péché conduit à la mort et l’obéissance conduit à la vie. Ainsi est mis en relief le fait d’être mort dans l’optique d’une destinée et non premièrement d’un état spirituel. Paul ne dit pas « le péché cause la mort de l’esprit ». Si c’était le cas, on pourrait parler plus justement d’une « mort spirituelle ». La même logique basée sur un futur à venir se trouve en Ga 6,8, avec l’image « semer/récolter » : « Celui qui sème pour sa propre chair récoltera ce que produit la chair : la corruption. Celui qui sème pour l’Esprit récoltera ce que produit l’Esprit : la vie éternelle. » En fait, pour Paul, la mort spirituelle a plus à voir avec le fait que les croyants « meurent avec Christ », ce que symbolise le baptême, comme le voit clairement en Rm 6,5-11, où la seule façon de comprendre la pensée de Paul, c’est d’y voir une mort spirituelle avec le Christ. Considérons seulement Rm 6,8 : « Mais si nous sommes [spirituellement] morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. » Paul pense alors à l’union mystique et spirituelle du croyant avec le Christ (cf. 1 Co 6,17).
22 Éphésiens 2,1-5 : “Vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels vous marchiez autrefois, selon le train de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, de l’esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion. Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous, qui étions par nature des enfants de colère, comme les autres. Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous a rendus à la vie avec Christ, nous qui étions morts par nos offenses.” Colossiens 2,13 : “Vous qui étiez morts par vos offenses et par l’incirconcision de votre chair, il vous a rendus à la vie avec lui, en nous faisant grâce pour toutes nos offenses.” 1 Timothée 5,6 : « Mais celle qui vit dans les plaisirs est morte, quoique vivante.”
23 Romains 8:10 Et si Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Colossiens 3,3 : “Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu.” Ici, Paul parle des croyants qui sont « morts » au monde, mais auparavant ils étaient aussi existentiellement morts dans le péché. Galates 2,19 : « Car moi, c’est par la loi que je suis mort à la loi, afin de vivre pour Dieu. » Comme Jésus qui a été crucifié à cause de la loi, pour libérer l’humanité de la loi, Paul affirme la réalisation de la mort et la résurrection de Christ en lui, source d’un nouveau principe directeur de vie pour plaire à Dieu. Paul est désormais « mort à la loi », c’est-à-dire qu’il y a une rupture définitive entre lui et la loi, il en est libéré. Galates 6,28 : « Pour ce qui me concerne, loin de moi la pensée de me glorifier d’autre chose que de la croix de notre Seigneur Jésus Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde ! » Être crucifié représente une autre façon de dire qu’il est mort au monde, c’est-à-dire sans relation avec les aspects mauvais qui caractérisent les groupes sociaux, sans doute en soulignant aussi le dédain mutuel que suscite chaque « crucifixion ».
24 Par exemple, en Col 2,12, il fait référence à la résurrection des morts (sens littéral), puis dans le verset suivant, il affirme que les croyants étaient « morts à causes de leur fautes » avant de devenir chrétiens (sens symbolique 1), alors qu’en Col 3,3, les croyants « sont morts », par rapport au « monde terrestre » (sens symbolique 2). En 1 Th 5,6-7, Paul parle de « ceux qui veillent » et « ceux qui dorment » au sens symbolique d’être « vigilants » ou « négligents » puis soudainement il utilise les mêmes mots grecs pour désigner ceux qui sont « vivant » (« ceux qui veillent ») et « ceux qui sont morts » (« ceux qui dorment »), en 1 Th 5,10.
25 Le chiasme en 1 Co 10,1-11 possède une transition similaire du point de vue des pronoms – ils/eux / vous / nous.
26 Mentionné dans les v. 20 à 28, et les v. 1-11.
27 Paul élabore plus en détails ce qu’il avait commencé à mentionner en 1 Co 15,19, à savoir que « si c’est dans cette vie seulement que nous – les apôtres et leurs délégués – espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. » Pendant ce temps, les Corinthiens eux, ont déjà commencé à « régner » (1 Co 4,8).

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