La première fois que j’ai lu un auteur conditionnaliste1Un conditionnaliste est une personne qui croit que l’immortalité est conditionnelle à la foi en Jésus : seulement ceux et celles qui croient en lui vivront/existeront éternellement. Les conditionnalistes affirment que l’enfer consiste en un lieu de tourments proportionnels aux péchés qui culminera en la mort (l’annihilation) des incroyants., j’ai rapidement été surpris par l’ampleur du support biblique pour cette thèse2Le premier écrit que j’ai lu pour la thèse que l’enfer consiste en des tourments menant à l’annihilation fut cet article.. Je n’étais cependant pas convaincu au point de changer mon point de vue sur la question de l’enfer notamment à cause de deux passages bibliques du livre d’Apocalypse : Ap 14,9-11 et 20,10. Des années plus tard, j’ai rencontré le mouvement Rethinking Hell premièrement au travers du livre consistant en un collectif du même nom. Après avoir lu ce livre et d’autres, les deux passages bibliques qui me rendaient hésitant à adhérer au conditionnalisme furent expliqués de façon très cohérente et convaincante.
Dans cet article, j’explique comment Apocalypse 14,9-11 et 22,10, les principaux textes bibliques pour la perspective « tourments éternels », sont expliqués dans une perspective conditionnaliste.
Apocalypse 14,9-11
Une lecture rapide de ce passage semble suggérer que des personnes seront tourmentées « aux siècles des siècles… nuit et jour ». La lecture de ces versets suscite facilement ce type de raisonnement dans l’esprit du lecteur moderne :
- Des humains sont tourmentés devant les saints anges et devant l’Agneau (c),
- La fumée de leurs tourments monte au siècle des siècles (c’),
- Si la fumée des tourments monte au siècle des siècles, ça doit être parce que les gens sont tourmentés aux siècles des siècles, car « il n’y a jamais de fumée sans feu. »
- En plus, il est mentionné qu’ils n’ont de repos ni jour ni nuit (b’).
Francis Chan illustre bien comment ce passage est interprété par les traditionalistes :
Le plus terrifiant est la nature de ce châtiment – il se fera sans fin à l’horizon. Non seulement Jean dit que ces personnes seront « tourmentées avec le feu » (et non détruites), mais poursuit en disant que la fumée de leurs tourments monte ‘pour toujours’. Et pour être certain que ce point soit bien compris, il ajoute la phrase ‘ils n’ont pas de repos jour et nuit3Francis Chan et Preston Sprinkle, Erasing Hell: What God Said about Eternity, and the Things We’ve Made Up. Colorado Springs, David C Cook, 2011, p. 104.’
En réalité, ce passage n’appuie pas l’idée des tourments éternels, mais utilise un symbolisme qui indique la destruction totale des incroyants. Premièrement, il faut souligner que ce n’est pas les tourments qui sont « d’âges en âges » : c’est la fumée des tourments qui monte d’âges en âges. Le coeur du chiasme (c et c’) présente le châtiment divin en deux temps : 1) les incroyants sont tourmentés dans la présence du Seigneur et des anges et 2) ils sont complètement anéantis, la preuve étant qu’ils sont réduits en fumée4Ralph Bowles, « Does Revelation 14:11 Teach Eternal Torment ? », dans Rethinking Hell: Readings in Evangelical Conditionalism, Date M., Christopher, Cambridge, Lutterworth, 2014, p. 144-145.
Cela devient manifeste quand on considère que Jean cite presque littéralement És 34,9-10 :
Le contexte immédiat d’Ésaïe démontre clairement que les images utilisées pointent vers l’anéantissement des pécheurs. Les termes tohuw et bohuw sont ceux qui sont utilisés en Gn 1,2 pour parler de la terre avant que Dieu commence à créer ! La terre était informe et vide équivaut à dire qu’elle était chaotique et donc qu’aucun humain ne pouvait y habiter. Le mot ephec, traduit par « ils seront anéantis », veut dire « cesser d’être »5Devrions-nous interpréter les images du NT à la lumière de l’AT comme je le propose ? Dans son livre Echoes of Scripture in the Gospel, Richard Hays démontre que les auteurs du NT citent souvent des passages de l’AT s’attentant que leurs lecteurs relisent ses passages dans leur contexte et qu’ils incorporent le contexte du passage cité dans ce qui est dit dans leur écrit. Simplement dit : les auteurs du NT s’attendent à ce qu’on interprète ce qu’ils disent à la lumière du contexte des citations qu’ils font de l’AT. Un exemple évident de cela est Jésus qui dit, sur la croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? ». Cette phrase est la première du Ps 22, et si on va relire le Ps 22, on voit qu’il décrit ce que Jésus vit et le Ps témoigne aussi de son espérance de relèvement. Ce procédé intertextuel s’appelle la métalepse : « l’intertextualité se manifeste dans les citations, les allusions et les échos (d’où l’utilisation de la métalepse). Et l’écho ne se limite pas à un seul mot crochet, mais appelle à se remémorer tout le contexte et la structure du texte précurseur pour en arriver à lire les deux textes en juxtaposition. » (Jean Doutre, recension de « Echoes of Scripture in the Gospels » de Richard B. Hays, Science et Esprit 71, [publication à venir])..
Ralph Bowles remarque que Ap 14,10-11 utilise un ordre un peu différent qu’en És 34,9-106Ralph Bowles, »Does Revelation 14:11 Teach Eternal Torment ? », dans Rethinking Hell: Readings in Evangelical Conditionalism, Date M., Christopher (ed.), Cambridge, Lutterworth, 2014, p. 143-144.. En Ésaïe, on parle 1) « du souffre et du feu », 2) de l’attaque « jour et nuit » et 3) de « la fumée qui monte éternellement ». Cela correspond à un ordre qui exprime le processus de destruction lorsqu’une armée attaque une ville ennemie. Pendant que l’armée attaque la ville assiégée, celle-ci n’a pas de repos « ni jour ni nuit », mais ultimement, celle-ci est complètement détruite. Certains conditionnalistes pensent que l’expression d’Ap 14 « ils n’ont pas de repos ni jour ni nuit » fait référence au moment de la destruction devant l’Agneau (comme en És 34) et d’autres pensent que cela fait référence au moment où ils adorent la bête sur terre puisque le verbe est au présent : en acceptant d’adorer la bête, ils moyennent une fausse paix (ils demeurent sans repos) alors qu’en acceptant de mourir pour Christ, ils trouveraient le vrai repos (Cf. Ap 6,11 qui utilise le même verbe, qui ne revient pas ailleurs en Ap.). Enfin, la fumée qui monte éternellement est un mémorial de la destruction, un vestige du sort des rebelles7En fait, l’image du feu et du soufre ainsi que la fumée qui s’élève en signe de destruction totale remonte à la destruction de Sodome et Gomorrhe en Gn 19,24-30. Edward Fudge affirme que l’imagerie de la fumée qui s’élève de la ville est semblable à notre image de fumée en forme de champignon qui s’éleva suite à l’explosion de la bombe atomique : la fumée témoigne de l’extinction totale (Edward Fudge, « The Final End of the Wicked », dans Rethinking Hell: Readings in Evangelical Conditionalism, Date M., Christopher, Cambridge, Lutterworth, 2014, p. 37)..
L’image de la coupe de la colère de Dieu implique aussi l’anéantissement comme on le voit en Abdias 1,16 : « Les nations boiront, elles avaleront et elles seront comme si elles n’avaient jamais été. » Le texte d’Abdias parle spécifiquement du « jour de l’Éternel », du jour du jugement.
Enfin, si on comprend Ap 14,9-11 comme les traditionalistes, cela voudrait dire que les incroyants seront tourmentés éternellement dans la présence du Seigneur et des anges. Mais plusieurs autres textes affirment qu’ils seront séparés du Seigneur :
- Mt 7,23 : « retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité… »
- Mt 8,12 : « Mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors… »
- 2 Th 1,9 : « Ils auront pour châtiment une destruction éternelle, loin de la face du Seigneur et de la gloire de sa force… »
- Ap 22,15 : « Dehors les chiens, les enchanteurs, les impudiques, les meurtriers, les idolâtres, et quiconque aime et pratique le mensonge ! »
Une lecture d’Ap 14,9-11 qui ne fait pas de distinction entre les tourments et la fumée des tourments est donc incompatible avec le reste de la théologie de la fin des temps qui dit que les incroyants seront séparés de Dieu. Être séparé de celui « en qui toutes choses subsistent » (Col 1,17), de celui en qui « nous avons l’être » (Ac 17,28) implique d’être complètement anéanti comme l’image de la fumée suggère. La seule chose qui restera des incroyants est la mémoire qu’ils laisseront aux croyants (la fumée qui monte éternellement).
Apocalypse 20,10
10 Et le diable, qui les séduisait, fut jeté dans l’étang de feu et de soufre, où sont la bête et le faux prophète. Et ils seront tourmentés jour et nuit, aux siècles des siècles. 11 Puis je vis un grand trône blanc, et celui qui était assis dessus. La terre et le ciel s’enfuirent devant sa face, et il ne fut plus trouvé de place pour eux. 12 Et je vis les morts, les grands et les petits, qui se tenaient devant le trône. Des livres furent ouverts. Et un autre livre fut ouvert, celui qui est le livre de vie. Et les morts furent jugés selon leurs oeuvres, d’après ce qui était écrit dans ces livres. 13 La mer rendit les morts qui étaient en elle, la mort et le séjour des morts rendirent les morts qui étaient en eux ; et chacun fut jugé selon ses oeuvres. 14 Et la mort et le séjour des morts furent jetés dans l’étang de feu. C’est la seconde mort, l’étang de feu. 15 Quiconque ne fut pas trouvé écrit dans le livre de vie fut jeté dans l’étang de feu.
Dans toute la Bible, c’est le seul endroit où l’on parle de tourments éternels !
Au plus, ce qu’on peut dire : c’est le Diable, la bête et le faux prophète qui sont tourmentés éternellement et non des humains. Si les tourments sont proportionnels aux péchés (comme le dit le texte au v. 12 13, « selon leurs oeuvres »), alors ça a du sens que le Diable et les esprits derrière l’Empire romain anti-Dieu et le culte impérial soient tourmentés pour une période en apparence infinie.
Mais, en fait, il ne faut pas penser que ces êtres démoniaques seront littéralement tourmentés éternellement. C’est sans doute une hyperbole, car l’interprétation littérale d’Ap 20,10 demanderait de donner plus d’importance à un texte apocalyptique qui est très symbolique plutôt qu’à une dizaine de textes qui parlent clairement de l’anéantissement du Diable et des êtres célestes :
- Hébreux 2,14-15 : « Ainsi donc, puisque les enfants participent au sang et à la chair, [Jésus] y a également participé lui-même, afin que, par la mort, il anéantît (καταργέω) celui qui a la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable… »
- 1 Corinthiens 15,24 : « Ensuite viendra la fin, quand [le Christ] remettra le royaume à celui qui est Dieu et Père, après avoir anéanti (καταργέω) toute domination, toute autorité et toute puissance. » L’expression « les dominations, autorités et puissances » fait référence aux êtres célestes anti-Dieu dont Satan est le représentant par excellence.
- 1 Corinthiens 2,6-8 : « Cependant, c’est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits, sagesse qui n’est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, qui vont être anéantis (καταργέω). » André Myre représente l’opinion majoritaire en écrivant : « Ces chefs sont aussi bien les autorités politiques de l’empire que ces mystérieuses forces du mal qui peuplent les airs et inspirent l’agir délétère de leurs serviteurs terrestres8André Myre, Pour l’avenir du monde : la résurrection revisitée, Québec, Fides, 2007, p. 142.. »
- 1 Jean 3,8 : « Celui qui pèche est du diable, car le diable pèche dès le commencement. Le Fils de Dieu a paru afin de détruire (λυω) les oeuvres du diable. » Pour expliquer comment des fautes finies impliquent des souffrances infinies, plusieurs traditionalistes disent que les incroyants continuent de pécher en « enfer ». Contrairement à 1 Jn 3,8, la perspective classique affirme donc que les œuvres du diable (péchés) seront éternelles, car Dieu maintiendrait éternellement des rebelles dans la souffrance et en état de péché.
- La théologie biblique de la mort (anéantissement) éventuelle du Diable remonte jusqu’à Genèse 3,15 : « Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité: celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon. » Une inimitié est une animosité qui provoque la guerre jusqu’à la mort d’une des deux parties. L’image de la tête écrasée signifie un coup mortel qui enlève la vie.
- Il y beaucoup d’autres passages sur la destruction des êtres célestes anti-Dieu incluant Satan : És 14,12-23 (où on mélange le sort du roi et le sort de l’être céleste qui l’anime), És 24,21-13, És 27,1, És 34,4, Ps 82,6, Éz 28,1-19 (qui unifie encore le sort d’un roi et de l’être céleste qui était en Eden et qui anime le roi, v.19 : « Tu es réduit au néant, tu ne seras plus à jamais ! »), 2 Th 2,8-9 qui unifie encore le sort d’un politicien puissant et de l’être spirituel qui l’anime : « Et alors paraîtra l’impie, que le Seigneur Jésus détruira par le souffle de sa bouche, et qu’il anéantira (καταργέω) par l’éclat de son avènement. L’apparition de cet impie se fera, par la puissance de Satan… », Hb 1,10-12 (passage comparant l’éternité du Christ à la temporalité des anges9« Thus, for the author of Hebrews, Jesus the Son, whose life is indestructible (7:16) and who does not need to be purified (7:26-27), is told via the first-person speech in Psalm 101:26-28 LXX that he is superior to the ephemeral angels, creatures that will grow old and begin to disintegrate along with the rest of creation. The Son as the intermediate personal agent in creation and re-creation is directly addressed, while the Father is the ultimate agent. In this way – « the will perish, but you, the Son, remain » – the consummation of God’s story is reached, with divine discourse framing the whole, from creation to recreation. » (Matthew W. Bates, The Birth of the Trinity, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 174.), 1 Co 16,22 où être anathème veut dire être voué à la destruction, Ga 1,8-9, Ap 22,3 (qui suppose l’anéantissement de ceux qui étaient anathème).
« L’étang de feu » est un symbole qui est expliqué par l’auteur même de l’Apocalypse : « Et la mort et le séjour des morts furent jetés dans l’étang de feu. C’est la seconde mort, l’étang de feu. » Le fait que Jean lui-même explique le symbole (l’étang de feu) par l’expression prosaïque « la seconde mort » empêche de voir cette seconde mort comme étant métaphorique. Par exemple, en Ap 5,8, Jean dit que les « vingt-quatre vieillards ont des coupes d’or remplies de parfums, qui sont les prières des saints. » Le symbole « les coupes d’or remplies de parfums » est décodé par l’auteur lui-même qui nous dit que ça représente les prières des saints10L’explication d’un symbole par une expression prosaïque qui doit être comprise littéralement arrive plusieurs fois en Apocalypse. En Ap 1,20, les sept chandeliers sont des églises ; en Ap 12,9, il est spécifié que le grand dragon est le diable ; Ap 17,15.18 dit que les eaux sont des peuples ; et Ap 19,8 affirme que le vêtement de lin, qui revêtit l’épouse de l’Agneau, est les œuvres des saints. Toujours d’un côté un symbole, et de l’autre l’interprétation à prendre littéralement.. La seconde mort doit donc être prise littéralement : du point de vue humain, les incroyants expérimenteront une deuxième fois une mort souffrante11Je cite ici une communication personnelle de mon ami Nicolas Morin qui cite partiellement Pierre Prigent : « Pour renchérir sur la deuxième mort : Elle est initiée dans Ap 2,11, dans la lettre à l’église de Smyrne. Les vainqueurs n’ont pas à craindre la deuxième mort. L’objectif de cette lettre est d’encourager les chrétiens, malgré la persécution et l’emprisonnement, à ne pas perdre sa foi. En fait, Jean dit qu’il faut être fidèle jusqu’à la mort (Ap 2,10) pour ne pas subir la deuxième mort (Ap 2,11). Il est impossible de comprendre cette deuxième mort comme une mort spirituelle selon le contexte de l’Église de Smyrne (Pierre Prigent, L’Apocalypse de saint Jean, Lausanne, Delachaux & Niestlé, 1981, p. 79.). Non seulement ça, mais la lettre précédente (Ap, 2,1-7) écrite à l’église d’Éphèse utilise exactement le même langage pour parler des chrétiens qui eux mangeront de l’arbre de la vie qui était dans Genèse 3,22-24. Seuls les vainqueurs mangeront de cet arbre (Ap 2,7), ces mêmes vainqueurs qui sont appelés à persévérer jusqu’à la mort en Ap 2,11 et qui ne seront pas affectés par la deuxième mort. C’est pourquoi Jean appelle à ne pas craindre la première mort, mais à persévérer dans la foi. Celle-ci doit donc être une mort physique, d’autant plus que la seconde mort doit être l’opposé de la vie véritable offerte par l’arbre de la vie. Ainsi, la seconde mort est « (…) par décision de Dieu, la mort, l’anéantissement total, l’envers de la vie éternelle » (Pierre Prigent, L’Apocalypse de saint Jean, p. 79.) ».. Du point de vue des êtres célestes ou des éléments impersonnels comme la mort et le séjour des morts, la seconde mort équivaut à la terminaison définitive de ces entités.
De plus, comme le démontre Pierre Prigent dans son livre L’Apocalypse de saint Jean12Pierre Prigent, L’Apocalypse de saint Jean, Lausanne, Delachaux & Niestlé, 1981, p. 74., les Targums du Tanakh (datant approximativement du 1er siècle av. J.C. et peut-être plus tard encore) démontrent que la deuxième mort était déjà une expression employée pour désigner la privation de la vie comme châtiment eschatologique :
- Le Targum de Jr 51,39 dit : « Ils mourront de la deuxième mort et ne vivront pas dans le monde à venir. »
- Le Targum de Dt 33,6 spécifie : « Fais vivre Ruben en ce monde et non mourir de la deuxième mort dont le méchant meurt dans le monde à venir. »
- Le Targum d’Es 65,5-6 dit : « Leur punition sera dans la géhenne… Je ne leur donnerai pas de repos pendant leur vie… et livrerai leur corps à la deuxième mort. »
Ceux qui ressuscitent sans Christ ressuscitent pour être jugés et condamnés à une deuxième mort, une mort éternelle. Dieu anéantira les pécheurs, Satan et les démons qui rejettent Dieu et donc qui ne veulent pas vivre dans son Royaume pour l’éternité.
Conclusion
En fin de compte, dans toute la Bible, seulement Ap 20,10 dit que des êtres seront tourmentés d’âges en âges. Cette expression est sans doute hyperbolique, puisqu’après on parle de la deuxième mort qui doit être prise littéralement (Jean décode lui-même le symbolisme pour nous). La deuxième mort est ce qui met un terme définitif aux éléments qui sont lancés dedans (mort, séjour des morts, incroyants, le Diable, la bête et le faux prophète).
Cette conclusion est de loin la plus raisonnable lorsqu’on considère le principe de l’analogie de la foi. L’analogie de la foi est une règle d’interprétation largement admise en théologie. Elle dit qu’on doit interpréter les textes obscurs à la lumière des textes clairs :
Puisque les épîtres sont la principale source de laquelle sont dérivées pratiquement toutes les doctrines chrétiennes, il est très étrange que, si la vraie doctrine de la Parole de Dieu a comme intention de nous enseigner les tourments éternels, on ne retrouve aucune affirmation claire de cela nulle part dans les épîtres, mais qu’elles utilisent toujours le terme qui semble à première vue pointer vers la cessation de l’existence13Harold Guillebaud, « The General Trend of Bible Teaching », dans Rethinking Hell: Readings in Evangelical Conditionalism, Date M., Christopher, Cambridge, Lutterworth, 2014, p. 161..
Il ne faut pas faire une distinction seulement entre la littérature apocalyptique (symbolique) et didactique (enseignement prosaïque). Il faut aussi considérer le nombre de versets de chaque côté. Sur 265 passages néotestamentaires qui parlent du sort des ennemis de Dieu, Ap 20,10 est le seul qui parle « de tourments éternels » (voir cet article pour les chiffres ; ces chiffres ne considèrent même pas les mentions de l’AT.). On ne peut donc pas fonder la doctrine de l’enfer sur un ou deux textes apocalyptiques obscurs dont la symbolique utilisée est coupée de sa source (AT). On doit interpréter le 0,5% à la lumière du 99,5%. Il y a plus de textes qui semblent dire que Jésus n’est pas Dieu qu’il y a de textes qui semblent dire que les gens seront tourmentés éternellement en enfer. On n’en déduit pas pour autant que Jésus n’est pas Dieu, car ceux qui disent qu’il est Dieu sont tellement plus nombreux.
Références
↑1 | Un conditionnaliste est une personne qui croit que l’immortalité est conditionnelle à la foi en Jésus : seulement ceux et celles qui croient en lui vivront/existeront éternellement. Les conditionnalistes affirment que l’enfer consiste en un lieu de tourments proportionnels aux péchés qui culminera en la mort (l’annihilation) des incroyants. |
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↑2 | Le premier écrit que j’ai lu pour la thèse que l’enfer consiste en des tourments menant à l’annihilation fut cet article. |
↑3 | Francis Chan et Preston Sprinkle, Erasing Hell: What God Said about Eternity, and the Things We’ve Made Up. Colorado Springs, David C Cook, 2011, p. 104 |
↑4 | Ralph Bowles, « Does Revelation 14:11 Teach Eternal Torment ? », dans Rethinking Hell: Readings in Evangelical Conditionalism, Date M., Christopher, Cambridge, Lutterworth, 2014, p. 144-145 |
↑5 | Devrions-nous interpréter les images du NT à la lumière de l’AT comme je le propose ? Dans son livre Echoes of Scripture in the Gospel, Richard Hays démontre que les auteurs du NT citent souvent des passages de l’AT s’attentant que leurs lecteurs relisent ses passages dans leur contexte et qu’ils incorporent le contexte du passage cité dans ce qui est dit dans leur écrit. Simplement dit : les auteurs du NT s’attendent à ce qu’on interprète ce qu’ils disent à la lumière du contexte des citations qu’ils font de l’AT. Un exemple évident de cela est Jésus qui dit, sur la croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? ». Cette phrase est la première du Ps 22, et si on va relire le Ps 22, on voit qu’il décrit ce que Jésus vit et le Ps témoigne aussi de son espérance de relèvement. Ce procédé intertextuel s’appelle la métalepse : « l’intertextualité se manifeste dans les citations, les allusions et les échos (d’où l’utilisation de la métalepse). Et l’écho ne se limite pas à un seul mot crochet, mais appelle à se remémorer tout le contexte et la structure du texte précurseur pour en arriver à lire les deux textes en juxtaposition. » (Jean Doutre, recension de « Echoes of Scripture in the Gospels » de Richard B. Hays, Science et Esprit 71, [publication à venir]). |
↑6 | Ralph Bowles, »Does Revelation 14:11 Teach Eternal Torment ? », dans Rethinking Hell: Readings in Evangelical Conditionalism, Date M., Christopher (ed.), Cambridge, Lutterworth, 2014, p. 143-144. |
↑7 | En fait, l’image du feu et du soufre ainsi que la fumée qui s’élève en signe de destruction totale remonte à la destruction de Sodome et Gomorrhe en Gn 19,24-30. Edward Fudge affirme que l’imagerie de la fumée qui s’élève de la ville est semblable à notre image de fumée en forme de champignon qui s’éleva suite à l’explosion de la bombe atomique : la fumée témoigne de l’extinction totale (Edward Fudge, « The Final End of the Wicked », dans Rethinking Hell: Readings in Evangelical Conditionalism, Date M., Christopher, Cambridge, Lutterworth, 2014, p. 37). |
↑8 | André Myre, Pour l’avenir du monde : la résurrection revisitée, Québec, Fides, 2007, p. 142. |
↑9 | « Thus, for the author of Hebrews, Jesus the Son, whose life is indestructible (7:16) and who does not need to be purified (7:26-27), is told via the first-person speech in Psalm 101:26-28 LXX that he is superior to the ephemeral angels, creatures that will grow old and begin to disintegrate along with the rest of creation. The Son as the intermediate personal agent in creation and re-creation is directly addressed, while the Father is the ultimate agent. In this way – « the will perish, but you, the Son, remain » – the consummation of God’s story is reached, with divine discourse framing the whole, from creation to recreation. » (Matthew W. Bates, The Birth of the Trinity, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 174. |
↑10 | L’explication d’un symbole par une expression prosaïque qui doit être comprise littéralement arrive plusieurs fois en Apocalypse. En Ap 1,20, les sept chandeliers sont des églises ; en Ap 12,9, il est spécifié que le grand dragon est le diable ; Ap 17,15.18 dit que les eaux sont des peuples ; et Ap 19,8 affirme que le vêtement de lin, qui revêtit l’épouse de l’Agneau, est les œuvres des saints. Toujours d’un côté un symbole, et de l’autre l’interprétation à prendre littéralement. |
↑11 | Je cite ici une communication personnelle de mon ami Nicolas Morin qui cite partiellement Pierre Prigent : « Pour renchérir sur la deuxième mort : Elle est initiée dans Ap 2,11, dans la lettre à l’église de Smyrne. Les vainqueurs n’ont pas à craindre la deuxième mort. L’objectif de cette lettre est d’encourager les chrétiens, malgré la persécution et l’emprisonnement, à ne pas perdre sa foi. En fait, Jean dit qu’il faut être fidèle jusqu’à la mort (Ap 2,10) pour ne pas subir la deuxième mort (Ap 2,11). Il est impossible de comprendre cette deuxième mort comme une mort spirituelle selon le contexte de l’Église de Smyrne (Pierre Prigent, L’Apocalypse de saint Jean, Lausanne, Delachaux & Niestlé, 1981, p. 79.). Non seulement ça, mais la lettre précédente (Ap, 2,1-7) écrite à l’église d’Éphèse utilise exactement le même langage pour parler des chrétiens qui eux mangeront de l’arbre de la vie qui était dans Genèse 3,22-24. Seuls les vainqueurs mangeront de cet arbre (Ap 2,7), ces mêmes vainqueurs qui sont appelés à persévérer jusqu’à la mort en Ap 2,11 et qui ne seront pas affectés par la deuxième mort. C’est pourquoi Jean appelle à ne pas craindre la première mort, mais à persévérer dans la foi. Celle-ci doit donc être une mort physique, d’autant plus que la seconde mort doit être l’opposé de la vie véritable offerte par l’arbre de la vie. Ainsi, la seconde mort est « (…) par décision de Dieu, la mort, l’anéantissement total, l’envers de la vie éternelle » (Pierre Prigent, L’Apocalypse de saint Jean, p. 79.) ». |
↑12 | Pierre Prigent, L’Apocalypse de saint Jean, Lausanne, Delachaux & Niestlé, 1981, p. 74. |
↑13 | Harold Guillebaud, « The General Trend of Bible Teaching », dans Rethinking Hell: Readings in Evangelical Conditionalism, Date M., Christopher, Cambridge, Lutterworth, 2014, p. 161. |
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