Être ou ne pas être comme des enfants (partie 2)

05/29/2015

Huxley : Il me semble qu’un gourou appelé Jésus a déclaré exactement la même chose : “Si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux” (Matthieu 18:3).

Lewis : “Devenir comme des petits enfants” oui, mais pas “demeurer comme des petits enfants.”

Huxley : Quelle est la différence ?

Lewis : On y trouve le progrès, le changement, la croissance, la maturation, le fait d’aller de l’avant. Pour une raison aussi : nous devons devenir comme des petits enfants sous certains aspects seulement, mais pas en tout.

Huxley : Sous quels aspects ?

Lewis : L’humilité et la confiance.

Huxley : Comment savez-vous que c’est là ce qu’Il voulait dire ?

Lewis : Cela semble être ce dont Il parle dans le contexte présent, ainsi que dans le contexte élargi de sa vie et de ses enseignements en général1Peter Kreeft, Un dialogue entre le ciel et l’enfer, Marne-la-Vallée, Farel, 1997, p. 103..

Dans l’article précédent, j’ai démontré que Jésus invitait ses disciples à s’inspirer de l’humilité des enfants que ce soit sur le plan interpersonnel (se percevoir égal à leur prochain) ou sur le plan spirituel (reconnaître leur besoin de Dieu). En cela, les enfants sont des modèles pour les disciples. J’ai aussi affirmé qu’il n’était pas légitime de dire que Jésus soutient qu’il faut avoir la foi d’un enfant comme s’il fallait croire facilement. Ce n’est tout simplement pas la visée de son enseignement. C’est la conclusion à laquelle je suis parvenu en essayant de ne pas imposer ma propre interprétation intuitive sur le texte, mais en cherchant plutôt à comprendre ce que Jésus voulait dire selon le contexte littéraire et culturel.

De plus, donner comme modèle la foi crédule des enfants va à l’encontre de ce que dit l’apôtre Paul. Dans son épître aux Éphésiens, l’apôtre affirme que Dieu a donné différents styles de leadership aux chrétiens dans l’Église afin que ces personnes aident l’ensemble des chrétiens à parvenir à…

…l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite de Christ, 14 afin que nous ne soyons plus des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes, par leur ruse dans les moyens de séduction, 15 mais que, professant la vérité dans la charité, nous croissions à tous égards en celui qui est le chef, Christ (Éphésiens 4:13-15)2“Les images d’une personne croissant vers la maturité et d’un bateau ballotté par les vagues étaient communes au temps de Paul” (Craig S. Keener, The IVP Bible Background Commentary: New Testament, Downers Grove, InterVarsity, 2012, p. 548)..

Paul donne donc ici les enfants en contre-exemple. Encore une fois, il faut se demander : En quoi précisément, les enfants sont-ils des anti-modèles selon ce passage? Quel aspect des enfants n’est pas à imiter?

Deux aspects des enfants sont appelés à disparaître chez les chrétiens d’après ces versets.

1. La foi crédule des enfants comme anti-modèle

Le premier, c’est leur crédulité théologique c’est-à-dire leur tendance à croire trop facilement les discours humains sur Dieu. Être rapide à croire les autres, ne pas avoir d’esprit critique et ne pas chercher à comprendre les raisons qui justifieraient tel ou tel propos sont des caractéritiques des personnes crédules. Croire facilement comme des enfants, dit l’apôtre, c’est un peu comme se lancer en bateau sur la mer alors qu’une tempête avec de grands vents s’annonce : nous serons ballottés et emportés au gré des forces extérieures3L’apôtre Jacques utilise une image similaire au bateau en mer balloté par les vent, non pour parler de quelqu’un ayant une foi trop facile dans les hommes, mais plutôt pour parler d’une personne qui une foi instable en la bonté de Dieu : “Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu qui donne à tous libéralement et sans faire de reproche et elle lui sera donnée. Mais qu’il la demande avec foi, sans douter, car celui qui doute est semblable au flot de la mer, que le vent agite et soulève. Qu’un tel homme ne pense pas qu’il recevra quelque chose du Seigneur : c’est un homme irrésolu, inconstant dans toutes ses voies.” (Jc 1,5-8).. Une telle situation risque même de mener au “naufrage par rapport à la foi”, pour reprendre les mots de Paul ailleurs (1 Tm 1,19), dans un autre contexte.

Les enfants croient facilement les premiers venus. Ils sont naïfs et pensent que nous vivons dans un monde fondamentalement bon où tout le monde veut leur bien et tout le monde dit la vérité. Ils ne réalisent pas, comme les adultes, qui ont plus de maturité, que certains désirent les tromper et les séduire (Ép 4,14). Ce fait a été récemment illustré par cette expérimentation sociale :

Pour Paul, les chrétiens ne sont pas appelés à avoir une foi crédule, simpliste ou naïve : sous cet aspect, nous ne devons pas être des enfants, mais des adultes qui remettent les choses en question que ce soit les affirmations ou les intentions des gens pour s’assurer de leur bien-fondé. Le questionnement, la réflexion, l’étude, le débat constructif permettent la maturation de la foi et de la sagesse.

Luc, un compagnon de l’apôtre Paul dans la mission, donne en exemple les Béréens sur cette question… Dans le livre des Actes des apôtres, Luc décrit Paul se promenant de ville en ville et allant dans les synagogues pour annoncer la bonne nouvelle d’abord aux Juifs. Ceux-ci connaissaient la Bible hébraïque qui contient des prophéties messianiques annonçant d’avance la venue du Messie. Au ch. 17, l’auteur des Actes dresse un portrait favorable des Juifs de Bérée et les loue pour leur ouverture d’esprit alliée à une pensée critique et recherche sincère de la vérité :

Aussitôt les frères firent partir de nuit Paul et Silas pour Bérée. Lorsqu’ils furent arrivés, ils entrèrent dans la synagogue des Juifs. Ces Juifs avaient des sentiments plus nobles que ceux de Thessalonique. Ils reçurent la parole avec beaucoup d’empressement et ils examinaient chaque jour les Écritures, pour voir si ce qu’on leur disait était exact. Plusieurs d’entre eux crurent, ainsi que beaucoup de femmes grecques de distinction et beaucoup d’hommes. (Ac 17,10-12)

Une foi simple et naïve est contraire au concept biblique de la foi chrétienne. La foi, selon Paul et Luc, en est une qui a été et continue d’être examinée, qui a passé et continue de passer le test de la raison et de l’esprit critique. Cette foi chrétienne mature est toujours prête à se “défendre devant quiconque demande raison de l’espérance qui est en vous…” (1 P 3,15). Ne pas avoir de telles raisons à offrir pour notre espérance, c’est aller en mer alors que la météo annonce une tempête et de grandes rafales, c’est prendre le risque de faire naufrage concernant la foi.

2. Le stade sous-développé des enfants comme anti-modèle

Un deuxième aspect de l’enfant est donné en contre-exemple en Ép 4,13-15 : il s’agit simplement de l’idée que l’enfant représente un stade de croissance incomplet, immature, qui n’a pas atteint son plein potentiel. Cette croissance ou transition de l’enfant au stade adulte, Paul soutient qu’elle doit se faire “à tous égards”, c’est-à-dire selon tous les aspects auxquels les chrétiens sont appelés à ressembler à Christ. Dans le contexte, ce développement est encore lié à la question de la vérité (grandir dans notre compréhension de la vérité, notre intelligence des choses de Dieu4Voir aussi 1 Co 3,1-2, 1 Co 13,11, Hb 5,12-13, 1 P 2,2. Concernant 1 Co 3,1-2, Garland affirme que Paul utilise cet image pour mettre l’accent sur l’incompréhension du message de la croix : “The problem is not that they have failed to progress, but that they have failed to comprehend. (…) [The issue] is their failure to appreciate and incarnate the message of the cross, as is evidenced by their wrangling, personal ambition, and arrogance. By calling them ‘infants’, Paul basically challenges their presumption ‘We all have knowledge’ (8:1)” (David E. Garland, First Corinthians, Grand Rapids MI, Baker Academic, 2003, p. 106.).), mais il est également lié à la progression dans l’amour  : que notre caractère reflète de plus en plus Jésus au même titre que notre façon de penser.

 

Références

Références
1 Peter Kreeft, Un dialogue entre le ciel et l’enfer, Marne-la-Vallée, Farel, 1997, p. 103.
2 “Les images d’une personne croissant vers la maturité et d’un bateau ballotté par les vagues étaient communes au temps de Paul” (Craig S. Keener, The IVP Bible Background Commentary: New Testament, Downers Grove, InterVarsity, 2012, p. 548).
3 L’apôtre Jacques utilise une image similaire au bateau en mer balloté par les vent, non pour parler de quelqu’un ayant une foi trop facile dans les hommes, mais plutôt pour parler d’une personne qui une foi instable en la bonté de Dieu : “Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu qui donne à tous libéralement et sans faire de reproche et elle lui sera donnée. Mais qu’il la demande avec foi, sans douter, car celui qui doute est semblable au flot de la mer, que le vent agite et soulève. Qu’un tel homme ne pense pas qu’il recevra quelque chose du Seigneur : c’est un homme irrésolu, inconstant dans toutes ses voies.” (Jc 1,5-8).
4 Voir aussi 1 Co 3,1-2, 1 Co 13,11, Hb 5,12-13, 1 P 2,2. Concernant 1 Co 3,1-2, Garland affirme que Paul utilise cet image pour mettre l’accent sur l’incompréhension du message de la croix : “The problem is not that they have failed to progress, but that they have failed to comprehend. (…) [The issue] is their failure to appreciate and incarnate the message of the cross, as is evidenced by their wrangling, personal ambition, and arrogance. By calling them ‘infants’, Paul basically challenges their presumption ‘We all have knowledge’ (8:1)” (David E. Garland, First Corinthians, Grand Rapids MI, Baker Academic, 2003, p. 106.).

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