Saviez-vous que les quatre évangiles dans la Bible étaient anonymes ? Les auteurs ne se nomment pas. La première fois que j’ai entendu un de mes professeurs de théologie affirmer que rien dans l’évangile de Jean ne nous laissait savoir que c’était bel et bien l’apôtre Jean qui avait écrit cette évangile, j’ai levé ma main pour protester : « Êtes-vous sûr de cela ? Il me semble que j’ai déjà lu, dans le quatrième évangile, que Jean se nommait comme l’auteur du livre. » Je me trompais alors avec l’Apocalypse (Ap 1,1.4.9, 22,8) qui est signé de la main d’un dénommé Jean. Le professeur répondit alors qu’il était certain, mais qu’il allait quand même jeter un deuxième coup d’oeil à cela pour revérifier. Quelle modestie de sa part !
J’ai finalement fait mes devoirs aussi et je me suis rendu compte qu’il avait raison. Cependant, une question s’est alors imposée à moi : comment savons-nous alors que c’est bien Matthieu, Marc, Luc et Jean qui ont écrit ces évangiles ? Comment sait-on qui sont réellement les auteurs des évangiles ? Dans cet article, j’énumérerai les évidences externes concernant l’attribution traditionnelle des auteurs des évangiles en considérant le témoignage historique des premiers chrétiens. Les dates proposées sont toutes approximatives et sujets à débat.
1. Papias d’Hiérapolis (vers l’an 130)
Papias était un évêque qui vécut entre 70 et 163 ap. J.-C. dans la ville de Hiérapolis, aujourd’hui un territoire turque (près de Denizli). Selon Eusèbe de Césarée (263-393 ap. J.-C.), qui avait accès à des documents désormais perdues à partir desquels il construisit son livre Histoire ecclésiastique, Papias écrivit ceci sur les évangélistes :
Marc, qui était l’interprète de Pierre, a écrit avec exactitude, mais pourtant sans ordre, tout ce dont il se souvenait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur. Car il n’avait pas entendu ni accompagné le Seigneur, mais plus tard, comme je l’ai dit, il a accompagné Pierre. Celui-ci donnait ses enseignements selon les besoins, mais sans faire une synthèse des paroles du Seigneur. De la sorte, Marc n’a pas commis d’erreur en écrivant comme il se souvenait. Il n’a eu en effet qu’un seul but, celui de ne rien laisser de côté de ce qu’il avait entendu et de ne tromper en rien dans ce qu’il écrivait. Alors Matthieu écrivit les oracles dans la langue hébreux et chacun l’interpréta comme il en était capable1Mark D. Roberts, Can We Trust the Gospels?, Wheaton IL, Crossway, p. 43..
Il est intéressant de constater que, selon Papias, Marc n’était pas un témoin oculaire de la vie de Jésus, mais rapporte les propos de Pierre qui l’était. Le fait qu’on n’attribue pas directement à Pierre la paternité de l’évangile constitue un indice d’authenticité historique sur la base du critère d’admission embarrassante. Si les premiers chrétiens désiraient attribuer la composition à une personne précise sans réellement savoir qui en était l’auteur, ils n’auraient pas attribué ce livre si important à un autre que les Douze.
2. Canon de Muratori (vers l’an 170)
Le canon de Muratori est un document romain trouvé en 1740 qui date du 2e siècle. On y trouve une liste des livres que certains chrétiens considéraient comme inspirés de Dieu. Ce fragment nous offre de précieuses données concernant l’évangile de Luc et de Jean :
Le troisième évangile est celui selon Luc. Luc le médecin renommé, après l’Ascension du Christ, Paul l’ayant pris avec lui, ayant un zèle pour la loi, il écrivit avec son assentiment ce qu’il jugeait bon. Cependant lui non plus ne vit pas le Seigneur dans la chair. Et par conséquent selon ce dont il avait pu vérifier, il commença à le dire à partir de la nativité de Jean. Le quatrième évangile est celui de Jean, un des disciples2Mark D. Roberts, Can We Trust the Gospels?, Wheaton IL, Crossway, p. 42.…
Encore une fois, l’admission embarrassante (que Luc n’est pas un témoin oculaire) sonne comme authentique. De plus, les évidences internes de cet évangile convergent souvent avec le style paulinien. Donnons un seul exemple : la façon de parler de la résurrection « le troisième jour » est très similaire entre les deux. L’expression grecque τῇ ἡμέρᾳ τῇ τρίτῃ (litt. « le jour le trois ») ne revient qu’en 1 Co 15,3-5 et Lc 18,33 dans le Nouveau Testament3Lidija Novakovic, Raised from the Dead According to Scripture: The Role of the Old Testament in the Early Christian Interpretations of Jesus’ Resurrection, London, Bloomsbury, 2012, p. 119 : « Regardless of how one explains the genesis of the Markan tradition, editorial changes in Matthew and Luke show a clear tendency to adapt Mark’s wording to the traditional formula preserved in 1 Cor 15:4. ». La même chose peut être dite concernant la tradition de la sainte cène : Luc se rapproche de Paul4Anders Eriksson, Traditions as Rhetorical Proof: Pauline Argumentation in 1 Corinthians, Stockholm, Lund University, 1998, p. 101 : « The Pauline version is much closer to the Lucan version, which has all the three modifiying clauses in the bread-saying, but only the first clause as a modifier to the cup-saying. ». Les données littéraires convergent donc pour donner raison au Canon de Muratori sur le lien entre Luc et Paul.
3. Irénée de Lyon (vers l’an 180)
Irénée de Lyon (130-202 ap. J.-C.), tout comme Papias, fut un évêque important au 2e siècle. Plus de 3 000 kilomètres séparaient les deux, et pourtant, leur version sur l’origine des évangiles est similaire. Dans son livre Contre les hérésies 3,1, Irénée écrivit ceci :
Matthieu publia aussi parmi les juifs, dans leur langue, un évangile écrit, pendant que Pierre et Paul prêchaient à Rome et y fondaient l’Église. Après leur départ, Marc, le disciple et l’interprète de Pierre mit aussi par écrit ce que Pierre prêchait. Luc aussi, le compagnon de Paul, fit le récit dans un livre l’évangile prêché par lui. Après, Jean, le disciple du Seigneur, qui a aussi reposé sur son sein, publia lui-même un évangile pendant qu’il résidait à Éphèse en Asie5Mark D. Roberts, Can We Trust the Gospels?, Wheaton IL, Crossway, p. 41..
Il confirme donc le lien entre Marc et Pierre ainsi que celui entre Luc et Paul. Comme Papias, il affirme également que Matthieu a d’abord écrit son livre en araméen. Tous les manuscrits existants que nous avons sont en grec cependant. Et, comme le Canon de Muratori, le quatrième évangile est attribué à Jean, appelé « disciple ». Bien que l’on ne l’appelle pas « apôtre », la précision « qui a aussi reposé sur son sein » indique qu’il s’agissait de l’un des Douze.
4. Ancien prologue grec ajouté à l’évangile de Luc (vers l’an 190)
Un autre témoin important concernant l’origine des évangiles vient d’un auteur anonyme comme c’est le cas pour le fragment de Muratori :
Luc était un syrien d’Antioche, médecin de profession, disciple des apôtres, et plus tard compagnon de Paul jusqu’à son martyre. Il servit le Seigneur sans distraction, sans femme et sans enfants. Il mourut à l’âge de 84 ans, en Béotie, rempli du Saint-Esprit. Quoique des évangiles existaient déjà, celui selon Matthieu, composé en Judée et celui selon Marc en Italie, il fut incité par le Saint-Esprit et composa cet évangile entièrement dans la région avoisinant l’Achaïe. Il rend très clair dans le prologue que les autres évangiles avaient été écrits avant le sien… Plus tard, le même Luc écrivit les Actes des Apôtres6Joseph A. Fitzmyer, The Gospel According to Luke, New York NY, Doubleday, 1981, p. 38-39..
5. Tertullien, Contre Marcion, Livre IV (vers l’an 200)
Dans sa polémique avec Marcion, Tertullien vient à parler des auteurs des évangiles dans son quatrième livre de son ouvrage intitulé Contre Marcion. Il écrit notamment ceci en 4,2 :
Parmi les apôtres, Jean et Matthieu nous enseignent la foi. Parmi les hommes apostoliques, Luc et Marc répètent les enseignements de leurs devanciers, partent des mêmes principes, proclament avec eux un seul Dieu créateur, et Jésus-Christ son fils, né d’une vierge, consommation de la loi et des prophètes. Que l’enchaînement de leur narration diffère, peu importe, pourvu qu’ils s’accordent sur les dogmes fondamentaux, concordance qui ne se trouve point chez Marcion. Marcion, au contraire, n’assigne point d’auteur à l’Evangile, c’est-à-dire à celui qu’il s’est forgé, comme s’il n’avait pu supposer un litre à l’œuvre après avoir osé attaquer tout le corps de l’œuvre7Tertullien, Œuvres complètes de Tertullien (Tome 1), Antoine-Eugène Genoud (trad.), Louis Vivès, 1852, p. 153..
Il parlera à plusieurs reprises de Luc (16 fois) et Jean (22 fois), Matthieu (4 fois) et Marc une seule fois. Ces mentions s’inscrivent dans le débat sur l’autorité scripturaire des textes tous remis en question par Marcion excepté l’évangile de Luc comme on le voit en 4,5 :
Les Églises apostoliques couvriront aussi de leur patronage les Evangiles de Jean et de Matthieu que nous avons par elles et en conformité avec elles, quoique l’on attribue à Pierre l’Evangile publié sous le nom de Marc, son interprète, de même qu’à Paul le récit de Luc. Il est assez naturel d’imputer aux maîtres les écrits des disciples. Je demanderai donc à Marcion, pourquoi, laissant de. côté les antres Evangiles, il s’est attaché de préférence à celui de Luc, comme si dès l’origine ceux-là n’avaient pas été aussi connus que celui-ci8Tertullien, Œuvres complètes de Tertullien (Tome 1), Antoine-Eugène Genoud (trad.), Louis Vivès, 1852, p. 159..
En fin de compte, ces cinq sources convergent expliquent pourquoi les auteurs des évangiles sont communément considérés comme étant Marc, Matthieu, Luc et Jean. Pour ceux et celles qui aimeraient lire davantage sur le sujet, je recommande Can We Trust the Gospels? de Mark D. Roberts (2012) ou encore le livre du même titre de Peter J. Williams (2018). En français, je recommande le livre de Michel Gourgues (2019), « Plus tard tu comprendras » La formation du Nouveau Testament.
Références
↑1 | Mark D. Roberts, Can We Trust the Gospels?, Wheaton IL, Crossway, p. 43. |
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↑2 | Mark D. Roberts, Can We Trust the Gospels?, Wheaton IL, Crossway, p. 42. |
↑3 | Lidija Novakovic, Raised from the Dead According to Scripture: The Role of the Old Testament in the Early Christian Interpretations of Jesus’ Resurrection, London, Bloomsbury, 2012, p. 119 : « Regardless of how one explains the genesis of the Markan tradition, editorial changes in Matthew and Luke show a clear tendency to adapt Mark’s wording to the traditional formula preserved in 1 Cor 15:4. » |
↑4 | Anders Eriksson, Traditions as Rhetorical Proof: Pauline Argumentation in 1 Corinthians, Stockholm, Lund University, 1998, p. 101 : « The Pauline version is much closer to the Lucan version, which has all the three modifiying clauses in the bread-saying, but only the first clause as a modifier to the cup-saying. » |
↑5 | Mark D. Roberts, Can We Trust the Gospels?, Wheaton IL, Crossway, p. 41. |
↑6 | Joseph A. Fitzmyer, The Gospel According to Luke, New York NY, Doubleday, 1981, p. 38-39. |
↑7 | Tertullien, Œuvres complètes de Tertullien (Tome 1), Antoine-Eugène Genoud (trad.), Louis Vivès, 1852, p. 153. |
↑8 | Tertullien, Œuvres complètes de Tertullien (Tome 1), Antoine-Eugène Genoud (trad.), Louis Vivès, 1852, p. 159. |
Au tout début, nombre d’évangiles… on ne peut que constater qu’ils ont été divisés entre eux. Mais le coran a sauvé la face :
Sourate 3 v 52 à 53
Sourate 5 v 111 à 113
Sourate 61 v 14
Le fait d’avoir plusieurs évangiles aide à s’assurer de la vérité historique (par l’attestation multiple et indépendante par exemple) et aide à mettre en valeur les diverses richesses spirituelles que le Christ a mis en valeur dans sa personne et son message. En fait, l’uniformité d’une seule source est un appauvrissement sur le plan historique et sur le plan théologique.