Critique de Renart Léveillé sur les implications cognitives de la religion

07/24/2014

Renart Léveillé à récemment écrit un article intitulé “La religion causerait un problème cognitif chez les enfants“. J’aimerais offrir quelques critiques et appréciations en réponse aux idées du chroniqueur.

Le premier paragraphe de son article commence ainsi :

“Selon une étude publiée au début de juillet dans la revue scientifique Cognitive Science, les enfants qui ne sont pas exposés à la religion sont plus aptes à reconnaître ce qui est fictif de ce qui ne l’est pas. En effet, les sujets de l’étude (des enfants de 5 à 6 ans) qui avaient une éducation religieuse pensaient que les histoires religieuses, ainsi que les histoires fantastiques, étaient réelles. Ce qui n’était pas le cas des autres : ils étaient capables de dire que les histoires religieuses et fantastiques sont du domaine de la fiction.”

Premièrement, la formation des catégories “éducation religieuse” vs “les autres” est d’une imprécision extrême qui tout de suite me fait lever le drapeau rouge de la pensée critique. Dans un cours universitaire comme “introduction au phénomène religieux”, nous voyons d’emblée tout le problème qu’ont les anthropologues à simplement définir le mot “religion”. De quelles religions se réclamaient les cobayes de cette étude? Parlent-ils du christianisme, du bouddhisme, du sikhisme, de l’islam, du mormonisme (qui ne croient pas dans le miraculeux par exemple)? Y’a-t-il une différence entre la capacité de discernement des enfants de ces diverses religions? Même au sein d’une même religion, plusieurs subdivisions et traditions existent et peut avoir des incidences sur l’éducation de l’enfant en lien avec la place conférée au surnaturel dans les explications des phénomènes qu’il observe. Faire une catégorie “éducation religieuse” est donc très simpliste.

Deuxièmement, ce qui est plus problématique encore dans ce premier paragraphe, est le présupposé clairement naturaliste. Autrement dit, Léveillé (et probablement les chercheurs derrières l’étude) prend pour acquis la fausseté des histoires religieuses. En comparant les histoires religieuses aux histoires fantastiques, il veut probablement parler des miracles contenus dans les histoires religieuses pour les rapprocher des actions extraordinaires des récits fantastiques que l’on sait être irréelles. Mais qui dit que les miracles n’existent pas et que les récits religieux ne sont pas vrais (ou du moins un certain nombre d’entre eux)? Des interventions miraculeuses de Dieu sont-elles possibles? Léveillé semble affirmer que le miraculeux n’est pas possible en traitant pratiquement comme des synonymes “religieux” et “fantastique”… Comme si d’associer le mot “religion” à un autre mot dénotant l’idée d’invention humaine était suffisant pour transférer l’aspect fictif du fantastique au religieux (sophisme culpabilité par association).

Supposons un instant que le christianisme est vrai et qu’un enfant est éduqué dès son jeune âge comme chrétien. Selon l’étude, cet enfant chrétien tient pour vrai les vraies histoires religieuses que ses parents lui racontent et il tient aussi pour vrai l’histoire de Spiderman car il ne sait pas encore faire la distinction entre le réel et le fictif et ses parents ne lui ont pas dit que l’histoire de Spiderman était fictive. Hey bien il passe l’examen à 50% (il tient pour vrai les vraies histoires religieuses et il tient pour vrai les histoires fictives alors qu’elles ne le sont pas). Qu’en est-il de l’enfant élevé avec l’éducation séculière? Il tient pour fictif les histoires religieuses qui sont pourtant vraies (erreur!) et il tient pour fictif l’histoire de Spiderman qui est effectivement irréelle (bonne réponse!). Lui aussi, a alors 50% au test.

Qui fait mieux?

Remarquez, en fait, que les enfants ne font que répéter ce que leur parent leur ont appris. Le parent croyant dit à son enfant : “Le miraculeux est possible et voici une histoire [religieuse] dans laquelle il y a un miracle.” L’enfant religieux le croit alors et lorsqu’il vient le temps de regarder un film, il ne sait pas faire la distinction entre le miraculeux et le fictif. De l’autre côté, le parent séculier affirme : “le miraculeux n’existe pas donc les histoires religieuses comme les films sont des histoires inventées par les hommes.” L’enfant nie alors la réalité des histoires religieuses et des histoires fantastiques. WOW! QUELLE ÉTUDE! : Des enfants de 5 à 7 ans répètent sans réfléchir de façon critique ce que leurs parents leur apprennent. Je vais me coucher moins naisieux ce soir! [excusez mon petit sarcasme!]

Si nous avons une bonne leçon à retenir de cette étude, c’est qu’il n’est jamais trop tôt pour inculquer une pensée critique aux enfants et les aider à faire des distinctions sur des bases rationnelles (cela est vrai autant pour les parents religieux que les parents séculiers).

Permettez-moi de commenter le 2e paragraphe de Léveillé que voici :

“Aussi, le résultat de cette étude semble en quelque sorte contredire une autre étude qui a fait beaucoup de vagues en 2008 : Justin L. Barrett (lui-même très croyant), s’appuyant sur les sciences cognitives, arrivait à la conclusion que l’humain nait croyant. Cette dernière étude a été instrumentalisée à toutes les sauces par les croyants de toutes confessions, mais comme l’indique l’article du Courrier international : « Il ne s’agit pas de statuer sur l’existence ou la non-existence d’un être divin, mais bien davantage de savoir si le fait de croire en Dieu aurait pu conférer à l’espèce humaine une quelconque supériorité évolutionniste ». Donc, il est question de l’humain, dans les deux études.”

Une autre étude était en faveur des croyants, mais, Léveillé soutient que le point de ces études en sciences cognitives n’est pas de déterminer “l’existence ou la non-existence d’un être divin”. Bon point! Il est vrai qu’il pourrait être tentant pour certain de céder au sophisme génétique. Dans l’argumentaire de l’athée et le contexte de cet article, ce sophisme pourrait prendre cette forme : puisque les croyances religieuses tirent leur origines de l’évolution elles ne viennent pas de Dieu et donc Dieu n’existe pas, mais il n’est qu’une idée créée par le mécanisme de l’évolution pour assurer la survie de l’espèce. Tirer cette conclusion à partir de considérations psycho-sociales représenterait un faux raisonnement. Qui dit que Dieu n’a pas utilisé le processus de l’évolution pour rendre l’être humain apte à le chercher en étant câblé religieux?

Bien que je félicite Léveillé de vouloir éviter le piège du sophisme génétique, je crains qu’il ait tombé dans une certaine inconsistance. Essentiellement, le premier paragraphe présuppose que les histoires religieuses sans distinction sont tous fausses au même titre que les histoires fantastiques. Dans le deuxième paragraphe, Léveillé affirme qu’il ne s’agit pas de déterminer l’existence ou l’inexistence de Dieu. Mais les interventions de Dieu dans l’histoire viennent tout juste d’être niées! Si les histoires religieuses sont jugées fausses a priori, certes, Dieu peut encore exister, mais on vient de lui amputer une jambe et un bras car il ne peut plus faire de miracle (les histoires religieuses sont irréelles)! Si Dieu existe, selon moi, il est possible qu’il intervienne dans le monde. Et s’il est intervenu, c’est fort probable qu’on est mit par écrit ses interventions formant ainsi des histoires religieuses. Cependant, Léveillé tient les histoires religieuses irréelles comme les histoires fantastiques. C’est donc que le miraculeux n’existe pas dans la vraie vie. Bref, selon ce texte de Léveillé, il est possible que Dieu existe, mais si c’est le cas, il n’intervient pas dans le monde. Cet article m’apparaît un petit traité déiste présupposant le naturalisme. Ce naturalisme devient plutôt évident dans la citation que Léveillé fait de l’étude de base qu’il commente après :

La manière par laquelle le cerveau des enfants de moins de 5 ans explique le monde qui les entoure —magie et surnaturel— est similaire à la façon dont les adultes l’expliqueront. L’éducation et l’expérience nous enseignent certes à nous détacher des explications surnaturelles, mais ça ne nous quitte jamais totalement.

Il semble dire : “De toute évidence, les adultes qui croient encore aux explications surnaturelles sont comme des enfants qui croient en la magie et le fantastique!” Moi, je demande : “pourquoi croire que les explications surnaturelles sont inacceptables?”

C’est un présupposé naturaliste non remis en question. Remarquez encore sur le plan de l’argumentaire, pour une deuxième fois, l’utilisation du sophisme de culpabilité par association, que je résume ainsi : “si, en tant qu’adulte, tu crois que les explications surnaturelles sont acceptables, tu es comme un enfant qui croit dans la magie. La magie n’existe pas donc les explications surnaturelles n’existent pas.” Mais le surnaturel et la magie ne sont-ils pas deux choses bien différentes (au même titre que les histoires religieuses et les histoires fantastiques sont différentes)? Quelles raisons avez-vous de penser que le miraculeux n’existe pas? Si Dieu existe, alors le miraculeux est possible et donc les explications surnaturelles sont possibles et donc les histoires religieuses sont possibles. Je n’ai pas vu la moindre raison de penser que Dieu n’existe pas dans l’article, mais que des présupposés et des associations indésirables péjoratives envers les idées des croyants : magie et fantastique.

Et si l’évolution a câblé l’être humain pour croire des histoires religieuses fausses quoique utiles pour la survie de l’espèce, il ne faut pas croire que l’évolution ait épargnée la raison de sa finalité reproductrice. Le but de la raison ne serait donc pas de découvrir la vérité si elle est le produit de l’évolution, mais d’assurer la reproduction et la survie de l’espèce et cela même si elle nous guide à croire des faussetés comme le sens religieux des hommes (les histoires religieuses/fantastiques). Nous ne serions donc pas même justifiés de croire en l’évolution si la raison en est le produit car elle aurait été réglée pour la survie et non pour trouver la vérité. Cela démontre que la vision naturaliste s’auto-contredit. On doit postuler un autre principe externe au mécanisme de l’évolution pour maintenir que notre raison puisse être garante de vérité et non seulement de reproduction et de survie. Le chrétien quant à lui, postule qu’il est créé à l’image de Dieu et donc doué de raison et d’intelligence comme Dieu afin de chercher et trouver la vérité.

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