J’ai récemment eu une discussion avec un athée où nous avons parlé de l’argument moral pour l’existence de Dieu :
1 – Si Dieu n’existe pas, alors la moralité objective n’existe pas.
2 – La moralité objective existe.
3 – Donc Dieu existe.
La première prémisse affirme que seulement Dieu peut servir de fondement métaphysique1Qui ou quoi détermine le bien et le mal? à la notion de bien et donc de mal (le mal étant une privation du bien)2L’injustice est la privation de justice, l’infidélité, la privation de fidélité, l’ingratitude, etc.. Autrement dit, sans Dieu, le bien n’existe pas réellement et donc le mal non plus. Le bien et le mal seraient alors que des constructions humaines relatives, contradictoires sans aucune valeur objective : ce qui est bien pour un peut ne pas l’être pour l’autre et ce qui est mal pour un tantôt pourrait ne plus l’être pour la même personne plus tard. Tout est relatif. Il était d’accord.
La deuxième prémisse affirme que le bien et le mal existent vraiment, que certaines actions sont en elles-mêmes bonnes ou mauvaises. Le caractère bon ou mauvais appartient à l’action elle-même et non à la perception que nous avons de l’action.
Or, tout ce qu’il faut pour admettre la prémisse #2 qui dit que la moralité est vraiment objective, c’est de s’entendre qu’une certaine action x ne devrait jamais être commise, par personne peu importe son époque ou sa culture. On s’entendrait alors pour dire que notre expérience morale valide la 2e prémisse.
Sur ce plan, mon ami était difficile à cerner… Car logiquement, les athées qui croient en la 1ere prémisse devraient nier la 2e (l’objectivité de la moralité) et il ne devrait jamais imposer leurs standards moraux aux autres. Quand je demandais à mon ami : “Est-ce que violer une petite fille de 5 ans est mal?”3Je le sais, la pensée est horrible! Mais un exemple si frappant permet de voir avec clarté l’aspect véritablement horrible en soi du mal -point de vue affirmant la prémisse 2- ou si c’est juste une convention sociale pour dire que c’est “désagréable” -point de vue invalidant la prémisse 2. Il répondait : “Selon mes valeurs, oui, c’est mal. Mais peut-être pas selon les valeurs d’un violeur.” Je lui posais ensuite la question : “Est-ce que tu penses que personne ne devrait violer un enfant un 5 ans?” Encore une fois, il disait “Moi, je pense que personne ne devrait faire ça, mais c’est moi.”
Son raisonnement m’apparaissait problématique sans toutefois être capable de mettre le doigt sur ce qui clochait à mes yeux. Avec du recul, les choses s’éclaircissent…
Le fait qu’il dise, “moi” au début et “mais c’est moi” à la fin, ne change pas qu’il tient sa croyance personnelle comme devant s’appliquer aussi aux autres. Il se contredit donc, car il maintient à la fois que son point de vue à une portée normative qui dépasse sa personne (“personne ne devrait faire ça” = une norme applicable à tous) et qu’il n’a pas une portée normative, son point de vue étant limité à lui-même (“c’est moi”). Pour être consistant, il ne peut maintenir les deux en même temps.
Si c’est juste sa préférence, sa vision subjective pourquoi l’imposer aux autres? Il maintient d’un côté que la moralité est relative (qu’elle dépend, à la rigueur, de chaque individu) et de l’autre côté, il croit en une interdiction d’ordre moral qui devrait être universel, que les autres devraient respecter (ne pas violer un enfant). Il me semble que même s’il enrobe son discours de subjectivisme par-dessus subjectivisme (des expressions comme “selon moi”, “selon mes valeurs”, “c’est juste moi”, etc.), il traite quand même l’action x comme étant objectivement mal et l’interdiction comme étant normative pour tous. Jamais il ne dirait : “Je n’aime pas la crème glacée au chocolat et selon moi, personne ne devrait manger cette saveur de crème glacée, selon moi, selon mes valeurs!”
D’après moi, ce n’est pas parce que le processus cognitif est le sien que cela invalide la portée universelle de son jugement moral au même titre que ce n’est pas parce que c’est moi qui calcul que si mon achat coûte 10$, la caissière doit alors me redonner 10$ si je paye avec un 20$. Ce n’est pas parce que c’est moi qui fais le raisonnement que mon raisonnement n’a pas une conclusion à portée universelle. Que je me retrouve en Chine ou en Arabie Saoudite, en l’an 257 ou 2021, mon raisonnement demeurera vrai, même si c’est moi qui le fais.
Mais dès le moment où on postule, ne serait-ce qu’une seule loi morale normative pour tous, on peut se demander : “À qui ‘tous’ est redevable par rapport à cette loi morale?” Rendu là, il me semble que nous ne sommes plus loin de Dieu. Car s’il n’y a personne vraiment à qui “tous” est redevables, alors il n’y a pas vraiment de loi morale, mais que l’illusion d’une loi morale. Certains pourraient dire que c’est à la société que le ‘tous’ est redevable. Mais une société diffère d’une autre dans ces lois morales. La Corée du Nord pense que la liberté d’expression vient toujours du mal pour renverser le régime. Qu’en est-il si la société devient elle-même complètement sous l’influence d’une idéologie déshumanisante comme l’Allemagne nazie? Ultimement, si le bien n’est pas une réalité qui transcende les sociétés humaines, tout est relatif.
Références
↑1 | Qui ou quoi détermine le bien et le mal? |
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↑2 | L’injustice est la privation de justice, l’infidélité, la privation de fidélité, l’ingratitude, etc. |
↑3 | Je le sais, la pensée est horrible! Mais un exemple si frappant permet de voir avec clarté l’aspect véritablement horrible en soi du mal -point de vue affirmant la prémisse 2- ou si c’est juste une convention sociale pour dire que c’est “désagréable” -point de vue invalidant la prémisse 2. |
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