Éclairage grec : La motivation de Jésus devant la croix (Hébreux 12:2)

01/31/2015

Voici deux traductions françaises de Hébreux 12:2b…

  • Traduction Louis-Second : “en vue de la joie qui lui était réservée, il a souffert la croix, méprisé l’ignominie et s’est assis à la droite du trône de Dieu.” (D’autres traductions comme BFC et PV ont aussi “en vue de la joie”)
  • Traduction Colombe : “Au lieu de la joie qui lui était proposée, il a supporté la croix, méprisé la honte et s’est assis à la droite du trône de Dieu.” (D’autres traductions comme NBS et TOB ont aussi : “Au lieu de la joie”)

Est-ce EN VUE de la joie ou AU LIEU de la joie qui lui était proposée que Jésus est mort à la croix? Ce passage fait-il référence à une motivation future que Jésus avait afin de passer par la croix ou il fait plutôt allusion à un renoncement qu’il dû faire afin de passer par la croix?

La différence est dû aux diverses possibilités d’interprétation liées à la préposition grecque ἀντὶ :

Ἰησοῦν, ὃς ἀντὶ τῆς προκειμένης αὐτῷ χαρᾶς ὑπέμεινεν σταυρὸν αἰσχύνης καταφρονήσας, ἐν δεξιᾷ τε τοῦ θρόνου τοῦ θεοῦ κεκάθικεν.

Selon Murray J. Harris (2011, p.49), cette préposition peut avoir trois sens :

  1. Soit l’équivalence comme dans “oeil pour oeil, dent pour dent” = comme l’équivalent de.
  2. Soit l’échange comme dans Hébreux 12:16 où il est écrit : “… comme Ésaü, qui pour un mets vendit son droit d’aînesse.” = en retour de.
  3. Soit la substitution comme dans Luc 11:11 : “…lui donnera-t-il un serpent au lieu d’un poisson?” = à la place de.

La première option est d’emblée inapplicable : Jésus n’a pas souffert la croix comme l’équivalent d’une joie qu’on lui réservait. Cela serait un non-sens. La croix ne procure aucune joie en elle-même.

La deuxième option est celle que LS a choisie : Jésus s’est sacrifié à la croix en échange d’une joie qui viendrait après. Il s’agit probablement de la joie que lui procurerait, après sa résurrection, le bien que son sacrifice aura apportée à tous les croyants et la réconciliation/communion entre Dieu et les hommes que sa mort rend possible.

La troisième option est celle que Colombe a choisie : Jésus, à la place de la joie qui lui était réservée, a souffert la croix. Ici, la joie à laquelle Jésus aurait renoncée peut soit être la joie céleste d’une communion parfaite avec le Père et l’Esprit ou bien une joie terrestre. Sans expliquer pourquoi, Harris (2012, p.56) de même que Boring et Craddock (2010, p.708) affirment qu’il s’agirait d’un renoncement à la joie céleste. [1]

Le problème est que le contexte théologique de Hébreux semble pouvoir appuyer les deux dernières options. Par exemple, considérons Hébreux 11:24-26 :

“24 C’est par la foi que Moïse, devenu grand, refusa d’être appelé fils de la fille de Pharaon, 25 aimant mieux être maltraité avec le peuple de Dieu que d’avoir pour un temps la jouissance du péché (SUBSTITUTION – renoncement entre deux options simultanées), 26 regardant l’opprobre de Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l’Égypte, car il avait les yeux fixés sur la rémunération (ÉCHANGE – récompense future).”

Les tenants de la position “en vue de la joie” soulignent qu’Ésaïe 53:10-11 (passage clé utilisé par les premiers chrétiens pour interpréter la mort de Jésus), va dans le sens d’une récompense future comme motivation :

“10 Il a plu à l’Éternel de le briser par la souffrance… Après avoir livré sa vie en sacrifice pour le péché, il verra une postérité et prolongera ses jours et l’oeuvre de l’Éternel prospérera entre ses mains. 11 À cause du travail de son âme, il rassasiera ses regards. Par sa connaissance mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes et il se chargera de leurs iniquités.”

Boring et Craddock affirment que “depuis la réforme protestante, la traduction la plus commune est “au lieu de”. Cette interprétation présente Jésus comme s’appropriant pleinement le choix de souffrir (10:5-7) plutôt que de conserver la joie de son statut pré-incarné (1:2). Le point de vue alternatif – qui implique que la joie n’était pas déjà la sienne, mais était à venir dans la raison pour laquelle il souffrirait – continue l’idée d’une joie à venir présentée plus tôt.” (2010, p.708)

Cette dernière citation fait référence à Hébreux 10:5-7 qui explique qu’elle motivation Jésus aurait eu de renoncer à la joie céleste pour passer par la croix :

“5 C’est pourquoi, en entrant dans le monde, (le Christ) dit : Tu n’as voulu ni sacrifice, ni offrande, mais tu m’as formé un corps. 6 Tu n’as agréé ni holocaustes, ni sacrifices pour le péché. 7 Alors j’ai dit : Voici : je viens, — Dans le rouleau du livre il est écrit à mon sujet —Pour faire, ô Dieu, ta volonté. 8 Il dit d’abord : Tu n’as voulu et tu n’as agréé ni sacrifices, ni offrandes, ni holocaustes, ni sacrifices pour le péché qui cependant sont offerts selon la loi. 9 Puis il dit : Voici : je viens pour faire ta volonté. Il abolit donc le premier (culte) pour en établir un second. 10 Et c’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l’offrande du corps de Jésus-Christ, une fois pour toutes.”

Dans ce sens, la motivation de Jésus aurait été de faire la volonté de Dieu. Il aurait renoncé à la joie céleste par obéissance. Et cette obéissance l’a mené à la croix, au sacrifice qui allait permettre de sanctifier (rendre parfait) ceux qui croiraient en lui.

Vous, qu’en pensez-vous?

Jésus a souffert la croix à la place de la joie céleste (pour faire la volonté de Dieu par obéissance) ou en vue de la joie liée au salut des âmes (pour la récompense future)? L’obéissance à Dieu implique telle toujours nécessairement une joie ultimement?

————————————

[1] Le verbe associé à cette joie est “προκειμένης”, un participe présent passif, qui veut littéralement dire : “ayant été placé devant lui” (Maurice A. Robinson et A. Mark, 2012. Analytical Lexicon of New Testament Greek. p.297). Autrement dit, les mots “proposée”, mais surtout “réservée” suggèrent déjà une interprétation de la nature de la joie alors qu’en fait, ce que le verbe signifie est tout simplement que Jésus était exposé à une joie.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiéeRequired fields are marked *

Théophile © 2015