Prise de décision et volonté de Dieu (partie 2)

04/08/2014

Dans la partie 1 de cette série qui se base sur le livre “How Then Should We Choose : Three Views on God’s Will and Decision Making“, j’ai résumé la perspective “Volonté spécifique” qui est le premier point de vue (sur trois) concernant la façon que Dieu nous guide. Bien que cette guidance soit importante dans nos choix quotidiens, elle l’est d’autant plus lorsque nous faisons face à des décisions ayant de grandes implications comme le mariage, le choix de carrière ou face à d’autres opportunités qui s’offrent à nous. Voici donc la deuxième perspective sur la question…


“Relation personnelle” (Position #2/3)
L’auteur défendant cette perspective est Gordon T. Smith qui a écrit un livre traduit en français “Entendre la voix de Jésus” ainsi que plusieurs autres en anglais dont “Listening to God in Times of Choice“. Il est le président de Ambrose University College and Seminary à Calgary, en Alberta. D’après Smith, faire la volonté de Dieu implique de connaître Dieu personnellement et intimement. Dieu désire être engagé dans notre processus de décision non pour décider à notre place, mais pour nous aider à voir clairement qui nous sommes et notre monde. La responsabilité du choix nous appartient, mais Dieu ne nous laisse pas seul avec notre propre sagesse! (p.177) Il est là pour nous conseiller et nous éclairer. Il le fait par l’entremise de trois éléments clés : la Bible, l’Église et l’Esprit. L’Esprit nous guide quand nous sommes à l’écoute de son témoignage en nous. Nous devons discerner la voix de l’Esprit en nous et cela se fait en écoutant notre coeur (affect) et notre raison (intellect) et en les soumettant à la lumière de la Bible et l’Église (p.202). Le discernement des dynamiques de notre coeur est particulièrement important : il faut surtout porter attention à ce qui suscite en nous de la désolation (mouvements affectifs nous éloignant de Jésus) et de la consolation (émotions nous rapprochant de Jésus). Il ne faut pas prendre de décision en situation de désolation, mais d’abord traiter cette émotion négative. Et, de l’autre côté, il est nécessaire de quand même discerner la nature de la consolation pour s’assurer que cette paix vient de Dieu. Cela se fait en évaluant nos motivations : avons-nous un mauvais motif comme la gloire humaine, l’argent, le pouvoir, les plaisirs, etc? En écoutant la voix de Dieu à l’intérieur de notre coeur et en l’éprouvant par les Écritures et la sagesse des croyants, Dieu nous guidera. Cependant, en bout de ligne, bien que Dieu nous guide, la décision est la nôtre et non celle de Dieu et nous devons en assumer la responsabilité. 

Vision de Dieu : Saint-Esprit. 
Vision du chrétien : emphase sur le coeur, la disposition intérieure. 
Mot clé : introspection (des motivations, des sentiments, etc…). 
Approche : lecture des signes intérieurs à soi encadrée par la Bible et l’Église. 

La différence avec le modèle VS, c’est que pour Smith (RP), l’Esprit parle à l’intérieur de nous plutôt que par des signes extérieurs qu’il faudrait discerner. Aussi, une différence importante est que pour les tenants de la perspective VS, Dieu décide en quelque sorte pour nous (il y a UNE bonne décision à ne pas manquer) alors que les tenants de la perspective RP diraient plus que Dieu nous montre la réalité de notre coeur et de notre situation pour que nous puissions prendre une décision selon son coeur. Cependant il n’y a pas nécessairement UNE bonne décision qu’il nous faut trouver sans quoi on passe à côté du plan de Dieu. Selon RP, si nous sommes à l’intérieur de la volonté morale de Dieu, la guidance de Dieu s’apparente au conseil plutôt qu’à l’ordre et le but n’est pas de trouver la décision parfaite, mais une décision qui honore Dieu. Cela peut vouloir dire que plus qu’une option est valide. C’est en réfléchissant devant Dieu sur nos valeurs et les siennes que Dieu nous guidera et que nous pourrons bien choisir.

Appréciation et critique

Je trouve particulièrement que cette perspective aide le croyant à prendre au sérieux la dimension affective de sa spiritualité. Il s’agit là d’une réflexion importante à avoir car le coeur représente le moteur de la vie chrétienne. Si nous ne sommes pas connectés à notre coeur, à notre disposition intérieure, la foi ne sera qu’une religion vide et caractérisée par le devoir. Cela n’était pas le cas des premiers chrétiens comme on le voit dans les Écritures. Paul, par exemple, a reçu un appel spécifique de Dieu (clair, miraculeux, intrusif), mais même là, le genre de ministère que Dieu lui a confié concordait avec ce qu’il l’animait au plus profond de lui (1 Corinthiens 9:15-18). Dieu ne l’a pas appelé à un ministère pastoral se rapprochant de la relation d’aide par exemple, après quoi il aurait répondu en soupirant : « Bon… c’est pas le genre de chose que je veux faire mais si tu m’appelles, Seigneur, que ta volonté soit faite! » Pareillement, en Exode 3, on voit que Dieu appelle Moïse à faire le même genre de chose qu’il avait naturellement à coeur de faire en Exode 2, c’est-à-dire délivrer l’opprimé et s’opposer à l’injustice. Cette dimension affective est clé dans la reconnaissance de nos dons spirituels et de notre vocation qu’elle soit dans une organisation chrétienne à temps plein ou pas. 

Autres points forts de cette approche : les critères de discernement en lien avec le sentiment de consolation (sonder nos motivations) et l’emphase sur le but ultime de notre devenir : connaître Dieu intimement, devenir semblable à Jésus dans notre caractère (Romains 8:29-30) et que Dieu fasse partie intégrale de notre processus de décision sans toutefois court-circuiter notre responsabilité. Je trouve que ce modèle reflète beaucoup mieux notre rapport au Saint-Esprit que le modèle VS.

Je crois que les conseils que donnent Smith sont surtout utiles pour examiner nos motivations décisionnelles, mais je crains qu’en parlant du témoignage de l’Esprit pour prendre des décisions, que celui-ci fasse une mauvaise utilisation du concept. Par exemple, Jean 15:26 affirme que l’Esprit rend témoignage à Jésus, c’est-à-dire qu’il nous aide à voir que Jésus est vraiment Seigneur, le Fils de Dieu (c.f. 1 Jean 5:6). Romains 8:16 affirme que l’Esprit témoigne que nous sommes vraiment un enfant de Dieu c’est-à-dire qu’il rend cette vérité scripturaire vivante et claire en nous. Romains 9:11, le Saint-Esprit confirme la conscience de Paul ce qui lui donne une grande assurance morale. Mais jamais, je ne vois dans les Écritures que le Saint-Esprit témoigne à quelque pour que celui-ci prenne une décision. Excepté Philippe dans les Actes, en contexte de mission et d’autres exemples clairement surnaturels, la Bible ne présente jamais le témoignage de l’Esprit dans une perspective de prise de décision. Il ne faut surtout pas confondre le témoignage de l’Esprit avec notre disposition intérieure. Notre disposition intérieure est plutôt un indicateur de comment notre Dieu créateur nous a câblé pour le servir, que le Saint-Esprit qui nous dit fait telle ou telle chose. Certes, le Saint-Esprit peut nous aider à discerner nos valeurs, dons, etc., mais il ne faut pas confondre ce qu’il nous aide à voir comme des directives incontestables.

De plus, je pense que Smith met trop d’emphase sur le coeur et que cela peut amoindrir le sphère intellectuelle. Il met en garde contre le danger de rationnaliser pour encourager le chrétien à être à l’écoute du “témoignage de l’Esprit” dans son coeur comme si notre raison n’avait qu’un rôle mondain à jouer. Cela peut inciter à une trop grande subjectivité et nous laisse perplexe quant au rôle de l’intellect. Quel est son rôle? De plus, ce déséquilibre peut faire en sorte que notre processus de décision est ambigu : il n’est pas toujours clair de percevoir nous-mêmes comment nous nous sentons dans telle ou telle situation et parfois, nous sommes face à une situation où le devoir nous appelle, voir même où il nous appelle à aller à l’encontre de nos émotions car nous savons que c’est la bonne chose à faire même si cela ne nous attire pas. 
La dernière position, le modèle de la Sagesse, ajoutera beaucoup à la discussion…

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