Le bien pour lui-même ou pour une récompense?

03/15/2014
Dilemme d’un athée pour un chrétien : « Vaut-il mieux faire le bien pour le bien comme les athées ou faire le bien pour une récompense comme les chrétiens? Les athées font le bien sans s’attendre à être récompensés par Dieu après la mort contrairement aux chrétiens. »

Je pense que ce dilemme pose problème à différents niveaux…

Premièrement, la vision du monde de l’athée n’a pas de fondement métaphysique pour parler des notions de bien et de mal. Pour cette même raison, l’athée ne peut faire un jugement de valeur concernant deux motivations différentes car cela présuppose un standard commun et transcendant (réalité objective du bien) à partir duquel nous pourrions évaluer les différentes motivations. À chaque fois qu’on entend un athée parler des notions de bien ou de mal, c’est une occasion pour réfléchir ensemble sur les fondements métaphysiques de ces notions. Qu’est-ce que le bien et le mal? Qui ou quoi détermine le bien et le mal ainsi que nos obligations en lien avec ces notions? Est-ce la société, l’époque, la culture, la raison? Toutes ces réponses rendent relatives, subjectives et contradictoires l’idée du bien. Le bien, dans une perspective athée, est une illusion, une confusion entre préférences personnelles et norme transcendantale. Si Dieu n’existe pas alors la moralité objective n’existe pas. Sans Dieu, tout discours sur le bien revient à parler de préférences personnelles ou sociales : le bien est alors une construction relative et non objective. Le dilemme de l’athée emprunte des éléments fondamentaux à la vision du monde théiste pour ensuite l’attaquer. Ce problème à lui seul démontre que le dilemme ne tient pas la route.  

Deuxièmement, le dilemme prétend que la seule forme de récompense possible en lien avec la pratique du bien dépend de l’existence de Dieu et de la rétribution après la mort. Autrement dit, parce qu’ils ne croient pas en l’existence de Dieu et le jour de la rétribution, les athées font nécessairement le bien pour le bien. Le fait que les athées ne croient pas en Dieu et au jugement dernier ne purifie pas leurs motivations magiquement. 

Il est possible que les athées (tout comme les croyants) fassent le bien non pour le bien, mais pour la satisfaction que la pratique du bien leur apporte personnellement. Appelons cette satisfaction personnelle des récompenses intérieures : conscience tranquille, paix, joie, fierté, réalisation personnelle, sentiment d’utilité, d’être généreux, etc. En fait, une personne peut faire une panoplie de bonnes choses, mais avoir une attitude fondamentalement orgueilleuse et condescendante ce qui vient jeter un ombrage sur sa pratique du bien en général. C’est ce que Jésus évoquait par cette illustration du pharisien condescendant : « Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : ‘O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes qui sont ravisseurs, injustes, adultères, ou même comme ce publicain… je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus.’ » (Luc 18:11-12) 

Il est également possible que les athées (tout comme les croyants) fassent le bien non pour le bien, mais pour la considération sociale que la pratique du bien leur apporte. Appelons cela des récompenses extérieures : la gratitude et les honneurs des autres ainsi que les diverses faveurs sociales que la pratique du bien peut impliquer plus tard pour eux. Il est aussi possible de faire le bien pour éviter des conséquences négatives. En Luc 18:1-8, Jésus raconte l’histoire d’un juge athée qui n’aimait pas une veuve en particulier ce qui faisait en sorte qu’il ne lui rendait pas justice. La femme, avec une persistance implacable, vient à répétition lui demander de traiter correctement son cas. Finalement, excédé, écoeuré, tanné, le juge se dit « Quoique je ne craigne point Dieu et que je n’aie d’égard pour personne, néanmoins, parce que cette veuve m’importune, je lui ferai justice, afin qu’elle ne vienne pas sans cesse me rompre la tête. » (Luc 18:4b-5) Dans son cas, il fit ce qui est bien (rendre justice), mais pour acheter la paix interpersonnelle et non pour le bien en lui-même. 

En fait, ce dilemme est ironique car l’athée se récompense socialement de vouloir faire le bien pour le bien, d’avoir des motivations supposément complètement désintéressées. Il se présente comme étant supérieur au chrétien. Il faut choisir! Si tu fais le bien pour le bien, ne t’en vante pas après! Sinon, tu ne fais plus le bien pour le bien, mais pour la considération sociale que la pratique du bien donne. Là voilà ta récompense! Jésus a clairement mis en lumière cette tendance hypocrite dans la pratique du bien : « 1 Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes pour en être vus, autrement, vous n’aurez point de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux. 2 Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues afin d’être glorifiés par les hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense. 3 Mais quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite, 4 afin que ton aumône se fasse en secret et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » (Matthieu 6:1-4) Ici, le mot récompense doit être prit comme louange de Dieu. Soit nous avons la louange des hommes, soit nous aurons la louange de Dieu car, que ça plaise ou pas à certains, il louera les hommes pour le bien qu’ils auront fait et châtiera pour le mal qu’ils auront commis. Bref, c’est tout simplement faux de dire que les athées font toujours le bien pour le bien parce qu’ils ne croient pas en Dieu et la rétribution. Cela ne leur donne pas pour autant des motivations purement désintéressées! 

Je tiens à préciser que je ne dis pas qu’il est impossible pour l’athée de faire le bien pour le bien. Bien que, d’après moi, les athées qui croient en la réalité d’une moralité objective croient dans un noble mensonge (idée provenant de William Lane Craig citant L. D. Rue dans Reasonable Faith, 2008, p.84-85). Ils se mentent à eux-mêmes sur la constitution de la réalité en lui attribuant des propriétés morales qu’elle n’a pas si Dieu n’existe pas. Malgré cela, comme ils vivent réellement dans un univers doté de valeurs morales, mais qu’ils ne font que nier leur fondement c’est-à-dire Dieu, il est possible pour eux de faire le bien pour le bien. Leur épistémologie morale fonctionne même si leur ontologie est défectueuse.

Il y aurait d’autres choses à dire sur ce dilemme, notamment sur la proposition selon laquelle les chrétiens font nécessairement le bien pour une récompense car ils croient en Dieu et au jour de la rétribution, mais par manque de temps, je m’abstiendrai. Je me contenterai de terminer avec cette citation de Richard Wurnbrand, un pasteur roumain qui a été emprisonné et torturé 14 ans à cause de sa foi chrétienne sous le régime communiste athée de l’URSS qui eux refusaient de croire dans le noble mensonge : 
« La cruauté de l’athéisme est dur à croire. Quand un homme ne croit pas dans la récompense du bien et le châtiment du mal, il n’y a pas de raison d’être humain. Il n’y a aucune restriction aux profondeurs du mal en l’homme. Les tortureurs communistes disaient souvent : ‘Il n’y a pas de Dieu, de vie après la mort, de châtiment pour le mal. Nous pouvons faire ce que nous voulons.’ J’ai entendu un tortureur dire : ‘Je remercie Dieu, dans lequel je ne crois pas, de ce que j’ai pu vivre jusqu’à cet heure où je peux exprimer tout le mal en mon coeur.’ Il l’exprimait dans une incroyable brutalité en torturant les prisonniers. » (Richard Wurnbrand, Tortured for Christ, 1998, p.36)

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