Le point en commun des multiples citations dans cet article est l’idée que le bonheur n’est pas la somme des circonstances extérieures souhaitées. Plutôt, le bonheur nécessiterait surtout un travail sur soi et une certaine acceptation intérieure des choses qui ne dépendent pas de nous, qu’on ne peut changer.
Dans son livre L’hypermoderne expliqué aux enfants, le philosophe québécois Sébastien Charles explique comment l’emphase sur la raison, le progrès et la science propres à la modernité eut un impact significatif sur la question de la quête du bonheur :
Cette modification du rapport des hommes au monde est exceptionnelle. Par le passé, la conception que se faisait la philosophie du bonheur reposait sur une acceptation du monde tel qu’il est et sur une modification de l’individu seulement afin de faire en sorte qu’il s’adapte à la réalité sans chercher à la transformer. Avec les avancées techniques permises par la science moderne, le rapport de l’individu au monde est totalement modifié et émerge l’idée que c’est à travers la transformation des données extérieures à l’homme que le bonheur peut être atteint et non plus par un travail de l’être humain sur lui-même1Sébastien Charles. 2007. L’hypermoderne expliqué aux enfants. Montréal: Liber, p.28) .
Comme Charles l’affirme, la conception philosophique du bonheur dans l’Antiquité était loin d’en être une qui passait par la maitrise du monde extérieur, mais plutôt sur un travail intérieur. C’est dans ce sens qu’Épictète, philosophe grec du 1er siècle, prônait l’acceptation des choses qui nous arrivent et qui ne sont pas de notre ressort : “N’attends pas que les choses arrivent comme tu le souhaites. Décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux2Arrien de Nicomédie. 2011. “Le Manuel d’Épictète ” In, ed Les Échos du Maquis. En ligne. VIII..” Cette pensée nous apparaît sans doute fataliste de nos jours. Mais pour Épictète, cette attitude semble être celle à avoir pour travailler notre propre caractère :
Devant tout ce qui t’arrive, pense à rentrer en toi-même et cherche quelle faculté tu possèdes pour y faire face. Tu aperçois un beau garçon, une belle fille? Trouve en toi la tempérance. Tu souffres? Trouve l’endurance. On t’insulte? Trouve la patience. En t’exerçant ainsi, tu ne seras plus le jouet de tes représentations3Ibid. X..
Cette tournure vers l’intérieur que prenait la quête du bonheur dans l’Antiquité était une conception aussi partagée, de façon générale, par les auteurs bibliques : “Au niveau des priorités des valeurs, ‘être’ est favorisé par rapport au ‘faire’ par les personnes dans la Bible et vivre en harmonie avec ou être soumis à la nature est préféré au désir de s’en rendre maître4John J. Pilch et Bruce J. Malina. 1998. A Handbook of Biblical Social Values (1993). Peabody: Hendrickson Publishers, p.3.”
Un exemple frappant de cette attitude se trouve dans la réaction de Job à l’ouïe de la nouvelle de la perte de tous ses avoirs économiques (ses multiples troupeaux d’animaux) et le décès de tous ses fils. Celui-ci déchira ses vêtements, un coutume de l’époque en signe de deuil, puis il dit : “Nu je suis sorti du sein de ma mère et nu j’y retournerai. L’Éternel a donné et l’Éternel a ôté, que le nom de l’Éternel soit béni.” (Job 1:21)
De la même manière, le livre des Proverbes fait l’éloge de la personne capable d’exercer la maitrise de soi face aux citations extérieures frustrantes : “Celui qui est lent à la colère vaut mieux qu’un héros et celui qui se maîtrise soi-même que celui qui prend des villes.” (Proverbes 16:32)
Bref, pour être heureux selon la sagesse de l’Antiquité, il faudrait donc une capacité minimale d’adaptation et une certaine capacité de lâcher prise sur le monde extérieur. Cela demande de l’humilité. Le bonheur, c’est en partie décider d’avoir une attitude positive dans les hauts et les bas de la vie et ne pas murmurer et grogner lorsque les choses ne vont pas comme nous le voulons. C’est vouloir améliorer son caractère avant d’améliorer son environnement et son entourage. Cela ne veut pas dire que les circonstances extérieures ne favorisent aucunement le bonheur, mais simplement que si nous nous concentrons sur ces éléments, nous risquons de passer à côté de l’aspect essentiel à l’appréciation de la vie : un coeur bien placé.
Références
↑1 | Sébastien Charles. 2007. L’hypermoderne expliqué aux enfants. Montréal: Liber, p.28) |
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↑2 | Arrien de Nicomédie. 2011. “Le Manuel d’Épictète ” In, ed Les Échos du Maquis. En ligne. VIII. |
↑3 | Ibid. X. |
↑4 | John J. Pilch et Bruce J. Malina. 1998. A Handbook of Biblical Social Values (1993). Peabody: Hendrickson Publishers, p.3 |
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