Bible, credo, selon les Écritures

“Les Écritures” dans le credo corinthien

09/18/2016

En quoi consiste le corpus d’Écritures auquel le credo fait référence : “Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures… il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures…” (1 Co 15:3-4) ? À quels écrits les premiers chrétiens se référaient-ils pour interpréter la mort et la résurrection de Christ ?

Il va de soi que la pratique de Paul et celle des autres auteurs néotestamentaires pointe vers un ensemble de livres considérés par les Juifs comme inspirés de Dieu (ce qui s’apparente à notre Ancien Testament) et non n’importe quel type d’écrits1Contre Tom Harpur (2005) qui affirme que les premiers chrétiens se sont inspirés de mythes et légendes païennes : “Longtemps avant l’ère chrétienne, les Égyptiens, comme d’autres peuples, croyaient en la venue imminente d’un Messie, fruit d’une naissance virginale, au Verbe fait chair. Les premières Églises ont fait de ces dogmes les fondements mêmes de la foi chrétienne, tout en occultant leurs origines. Ce qui avait d’abord été conçu comme un système universel de croyances, basé sur le mythe et l’allégorie, s’est transformé, entre les mains de groupes ultraconservateurs farouchement attachés à la lettre plutôt qu’à l’esprit, en une institution figée et dogmatique. Dans Le Christ païen, son livre le plus audacieux et le plus original, il remonte aux racines du christianisme. » (En ligne. < http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/christ-paien-1319.html >”) Non seulement l’affirmation que d’autres religions païennes racontaient une histoire similaire au christianisme est complètement fausse, mais le credo corinthien ainsi que la pratique des écrivains du NT qui citent sans cesse l’AT démontrent que la thèse de Harpur ne tient pas la route.. Mais, pour les Juifs du 1er siècle, quels livres font partie de la catégorie « Écritures sacrées » et quels livres font partie de la catégorie « écritures profanes » ? Ceux-ci n’avaient pas chacun une Bible hébraïque composée de 39 livres dans leur bibliothèque comme les protestants d’aujourd’hui2Moyise (2010, 10) : « One of the most difficult aspect of our study is to try to imagine what quoting or alluding to Scripture would have meant for someone like Paul. He would not have had our concept of 66 books (for Protestants) residing on his bookself. If the tradition about Gamaliel is correct, he would have known the Hebrew scolls in use in Jerusalem and perhaps the LXX scrolls from Tarsus. His habits of preaching in the synagogues (Acts 13.14) would have alerted him to the fact that these scrolls sometimes differed, and would have brought familiarity with the Aramaic paraphrases known as Targumim (singular Targum), which increasingly accompanied reading of Scripture since many Jews could no longer understand Hebrew. So when Paul introduces a phrase or sentence with an introductory formula (IF) such as ‘as it is written,’ we have to ask ourselves which version of the Scripture he has in mind. » ! Le canon n’était pas clairement fixé comme c’est le cas pour nous3Rachet (2003, 568-569) : « Ainsi, je suis personnellement d’accord (…) avec Eugène Ulrich (…) lorsqu’il déclare qu’il ne croit pas que la Bible telle que nous la connaissons existait lors de la période du Second Temple (soit entre le ~Ve siècle et le début de notre ère) si l’on entend par là une collection de livres complète, fixée et close. ». Aux yeux des chrétiens du 1er siècle, qu’en est-il du statut des livres appelés « deutérocanoniques » plus tard dans l’histoire de l’Église, livres qui font partie des Bibles pour les catholiques ? Et est-ce que la Septante (LXX), traduction grecque parfois très différente des manuscrits hébraïques et dont les auteurs du NT se sont principalement servis, est aussi inspirée ? Comme la question de la référence aux Écritures pourrait elle-même constituer un mémoire, je vais me contenter de poser quelques jalons pour répondre à ces questions.

D’abord, considérons le texte massorétique (TM), c’est-à-dire les Écritures saintes dans leur version hébraïque. La Bible hébraïque était composée de trois sections4Autour de l’an 130 av. J-C., le petit-fils de Jésus Ben Sira écrivit le prologue suite à la traduction du Siracide (Écclésiastique), œuvre de son grand-père. Dans ce prologue apparaît pour la première fois la répartition tripartite de la Bible hébraïque (Archer 1978, 72) : « Beaucoup de grandes choses nous ont été transmises par la Loi, les Prophètes et ceux qui les ont suivis, (…). Mon grand-père Jésus, qui s’était avant tout adonné à la lecture de la Loi, des prophètes et des autres livres de nos pères, et qui y avait acquis une grande maitrise, fut amené à écrire lui aussi sur l’instruction et la sagesse… » (TOB 2004, 1307). C.f. TOB (2004, 1303-4) pour la datation du prologue. : la Torah (Loi), les Nebiim (Prophètes), les Ketubim (Écrits)5La Bible hébraïque est appelée par les Juifs « Tanak » (de Pury 2004, 17-8). Ce mot est composé à partir de la première syllabe de chacune des trois sections.. Cette Bible contient 24 livres équivalents aux 39 livres de l’Ancien Testament chez les protestants, car certains livres sont regroupés : « 1 et 2 Samuel ne comptaient que pour un de même que 1 et 2 Rois, 1 et 2 Chroniques, le bloc des douze petits prophètes, et Esdras-Néhémie » (Archer 1978, 69). Selon le témoignage de Flavius Josèphe (Contre Apion 1.8), le canon hébraïque incluait 22 livres : « Il n’existe pas parmi nous des myriades de livres discordants et contradictoires ; nous n’en avons que vingt-deux contenant la description de tout le temps passé et qui sont à bon droit tenus divins » (cité par Archer 1978, 73). Archer (1978, 69) affirme que le livre de Ruth était probablement inclus dans le livre des Juges et Lamentations dans Jérémie, de sorte que les 22 livres de Flavius Josèphe correspondent aussi aux 39 livres vétérotestamentaires. Sur le statut des livres que nous appelons aujourd’hui « deutérocanoniques », le témoignage de Flavius Josèphe démontre qu’ils n’étaient pas considérés comme inspirés par les Juifs :

Après la mention des cinq livres de Moïse, de treize ouvrages des prophètes, et de quatre autres livres, qui comprennent des hymnes à Dieu et des règles de conduite pour les hommes’, Josèphe ajoute cette déclaration considérable : ‘Depuis Artaxerxès jusqu’à notre époque, tout a été consigné par écrit ; mais ces livres n’ont pas été jugés dignes d’une créance semblable à celle des précédents, parce que la succession exacte des prophètes faisait défaut (Archer 1978, 73)6Moyise (2010, 10) : « There does not appear to be any explicit quotation of these ‘deutero-canonical’ books in Paul’s undisputed letters, but he does appear to allude to some of them on occasion. » Par exemple, le développement sur la splendeur de la création comme moyen par lequel Dieu se fait connaître comme créateur et comment le refus d’admettre cela pousse à l’idôlatrie et l’immoralité (Rm 1:18-29) a probablement été influencé par le livre de la Sagesse de Salomon (13:1-10, 14:12-13) (voir tableau comparatif dans Moyise 2010, 15-6). De même, en 1 Co 2:9, Paul cite És 64:4, mais il remplace « ceux qui s’attendent à Dieu » par « ceux qui aiment Dieu ». Or, non seulement l’expression « ceux qui aiment Dieu » se trouve en Sir 1:9-10, mais le Siracide possède aussi plusieurs thèmes qu’on retrouve aussi en 1 Co (Moyise 2010, 90)..

Les écrits de la mer morte découverts à Qumrân indiquent aussi que dès le 3e et 2e siècle av. J-C, tous les livres de la Bible hébraïque étaient utilisés7Rachet (2003, 567-8) : « Parallèlement au témoignage de Josèphe, celui de Qumrân est du plus haut intérêt. On y a recueilli des fragments plus ou moins importants de tous les textes de la Bible hébraïques, Esther excepté. (…) Par ces témoignages, on peut avoir la certitude que, si le canon n’était pas encore constitué, dès cette époque, grecque, il est vrai, tous les livres de la tradition rabbinique d’où va être issue la version massorétique sont connus et utilisés. Les variantes qu’on peut rencontrer montrent bien le flottement d’une tradition point encore fixée. ».

En Luc 24:44, Jésus utilise l’expression « la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes » faisant ainsi probablement référence aux trois parties de la Bible hébraïque (les Psaumes étant un synonyme pour la catégorie « Écrits »8Brown (2003, 196 n. 8) : « The word Tanakh, which is an acronym for Torah (= Law of Moses), Nevi’im (= Prophets), and Ketuvim (= Writtings, the most prominent part of which is the Psalms), reflects this same threefold division of the Hebrew Scriptures. » ). De même, en Luc 11:50-51, en parlant des martyrs d’Abel jusqu’à Zacharie, Jésus semble corroborer l’idée que l’Écriture commence avec la Genèse (Abel figurant dans le premier livre de la Bible hébraïque) et termine avec Chroniques (Zacharie figurant dans le dernier livre de la Bible hébraïque) (Bruce 1954, 20).

Il faut dire que Paul utilisait autant la Septante que les manuscrits hébreux. À cela, il faut ajouter les Targoums, qui étaient des paraphrases du texte hébreu en araméen. Ainsi lorsqu’il cite ou fait référence aux Écritures, nous devons nous demander quelle version il utilise (Moyise 2010, 8-10).

En résumé, il est probable que le corpus d’Écriture auquel le credo fait référence soit les 39 livres qui représentent la Bible hébraïque aujourd’hui pour les Juifs et l’Ancien Testament pour les protestants9En ce qui concerne l’Académie de Jamnia, Rachet (2003, 567) affirme que seul le statut canonique de certains livres était en question et qu’il ne s’agissait pas d’établir le canon vétérotestamentaire une fois pour toute comme quelques-uns l’ont proposé : « …lors du ‘concile’ de Yabneh le canon était dans l’ensemble constitué : il s’agissait plutôt de savoir si l’on y intégrerait des livres comme le Cantiques des Cantiques, l’Ecclésiaste et, peut-être, le Livre d’Esther ; les seuls, en effet, qui pouvaient prêter à discussion. La théorie qui voyait un concile de rabbins pharisiens à Jamnia à la fin du 1er siècle où on aurait établi une fois pour toute le canon vétérotestamentaire s’avère peu fondée. Ce qui est sûr, c’est qu’il y eut un débat sur le statut du Cantique des Cantiques et du Qohelet et que finalement ils ont été reconnu comme étant sacré (Mishnah Yadayim 3:5). » Pour de plus amples informations sur l’histoire du canon vétérotestamentaire, voir Archer (1978, 62-83), Rachet (2003, 135-70), Albert de Pury (2004, 17-39)..

Références

Références
1 Contre Tom Harpur (2005) qui affirme que les premiers chrétiens se sont inspirés de mythes et légendes païennes : “Longtemps avant l’ère chrétienne, les Égyptiens, comme d’autres peuples, croyaient en la venue imminente d’un Messie, fruit d’une naissance virginale, au Verbe fait chair. Les premières Églises ont fait de ces dogmes les fondements mêmes de la foi chrétienne, tout en occultant leurs origines. Ce qui avait d’abord été conçu comme un système universel de croyances, basé sur le mythe et l’allégorie, s’est transformé, entre les mains de groupes ultraconservateurs farouchement attachés à la lettre plutôt qu’à l’esprit, en une institution figée et dogmatique. Dans Le Christ païen, son livre le plus audacieux et le plus original, il remonte aux racines du christianisme. » (En ligne. < http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/christ-paien-1319.html >”) Non seulement l’affirmation que d’autres religions païennes racontaient une histoire similaire au christianisme est complètement fausse, mais le credo corinthien ainsi que la pratique des écrivains du NT qui citent sans cesse l’AT démontrent que la thèse de Harpur ne tient pas la route.
2 Moyise (2010, 10) : « One of the most difficult aspect of our study is to try to imagine what quoting or alluding to Scripture would have meant for someone like Paul. He would not have had our concept of 66 books (for Protestants) residing on his bookself. If the tradition about Gamaliel is correct, he would have known the Hebrew scolls in use in Jerusalem and perhaps the LXX scrolls from Tarsus. His habits of preaching in the synagogues (Acts 13.14) would have alerted him to the fact that these scrolls sometimes differed, and would have brought familiarity with the Aramaic paraphrases known as Targumim (singular Targum), which increasingly accompanied reading of Scripture since many Jews could no longer understand Hebrew. So when Paul introduces a phrase or sentence with an introductory formula (IF) such as ‘as it is written,’ we have to ask ourselves which version of the Scripture he has in mind. »
3 Rachet (2003, 568-569) : « Ainsi, je suis personnellement d’accord (…) avec Eugène Ulrich (…) lorsqu’il déclare qu’il ne croit pas que la Bible telle que nous la connaissons existait lors de la période du Second Temple (soit entre le ~Ve siècle et le début de notre ère) si l’on entend par là une collection de livres complète, fixée et close. »
4 Autour de l’an 130 av. J-C., le petit-fils de Jésus Ben Sira écrivit le prologue suite à la traduction du Siracide (Écclésiastique), œuvre de son grand-père. Dans ce prologue apparaît pour la première fois la répartition tripartite de la Bible hébraïque (Archer 1978, 72) : « Beaucoup de grandes choses nous ont été transmises par la Loi, les Prophètes et ceux qui les ont suivis, (…). Mon grand-père Jésus, qui s’était avant tout adonné à la lecture de la Loi, des prophètes et des autres livres de nos pères, et qui y avait acquis une grande maitrise, fut amené à écrire lui aussi sur l’instruction et la sagesse… » (TOB 2004, 1307). C.f. TOB (2004, 1303-4) pour la datation du prologue.
5 La Bible hébraïque est appelée par les Juifs « Tanak » (de Pury 2004, 17-8). Ce mot est composé à partir de la première syllabe de chacune des trois sections.
6 Moyise (2010, 10) : « There does not appear to be any explicit quotation of these ‘deutero-canonical’ books in Paul’s undisputed letters, but he does appear to allude to some of them on occasion. » Par exemple, le développement sur la splendeur de la création comme moyen par lequel Dieu se fait connaître comme créateur et comment le refus d’admettre cela pousse à l’idôlatrie et l’immoralité (Rm 1:18-29) a probablement été influencé par le livre de la Sagesse de Salomon (13:1-10, 14:12-13) (voir tableau comparatif dans Moyise 2010, 15-6). De même, en 1 Co 2:9, Paul cite És 64:4, mais il remplace « ceux qui s’attendent à Dieu » par « ceux qui aiment Dieu ». Or, non seulement l’expression « ceux qui aiment Dieu » se trouve en Sir 1:9-10, mais le Siracide possède aussi plusieurs thèmes qu’on retrouve aussi en 1 Co (Moyise 2010, 90).
7 Rachet (2003, 567-8) : « Parallèlement au témoignage de Josèphe, celui de Qumrân est du plus haut intérêt. On y a recueilli des fragments plus ou moins importants de tous les textes de la Bible hébraïques, Esther excepté. (…) Par ces témoignages, on peut avoir la certitude que, si le canon n’était pas encore constitué, dès cette époque, grecque, il est vrai, tous les livres de la tradition rabbinique d’où va être issue la version massorétique sont connus et utilisés. Les variantes qu’on peut rencontrer montrent bien le flottement d’une tradition point encore fixée. »
8 Brown (2003, 196 n. 8) : « The word Tanakh, which is an acronym for Torah (= Law of Moses), Nevi’im (= Prophets), and Ketuvim (= Writtings, the most prominent part of which is the Psalms), reflects this same threefold division of the Hebrew Scriptures. »
9 En ce qui concerne l’Académie de Jamnia, Rachet (2003, 567) affirme que seul le statut canonique de certains livres était en question et qu’il ne s’agissait pas d’établir le canon vétérotestamentaire une fois pour toute comme quelques-uns l’ont proposé : « …lors du ‘concile’ de Yabneh le canon était dans l’ensemble constitué : il s’agissait plutôt de savoir si l’on y intégrerait des livres comme le Cantiques des Cantiques, l’Ecclésiaste et, peut-être, le Livre d’Esther ; les seuls, en effet, qui pouvaient prêter à discussion. La théorie qui voyait un concile de rabbins pharisiens à Jamnia à la fin du 1er siècle où on aurait établi une fois pour toute le canon vétérotestamentaire s’avère peu fondée. Ce qui est sûr, c’est qu’il y eut un débat sur le statut du Cantique des Cantiques et du Qohelet et que finalement ils ont été reconnu comme étant sacré (Mishnah Yadayim 3:5). » Pour de plus amples informations sur l’histoire du canon vétérotestamentaire, voir Archer (1978, 62-83), Rachet (2003, 135-70), Albert de Pury (2004, 17-39).

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