La sainte paix 2.0

12/23/2015

J’aime déguster des bonnes bières de microbrasserie aux goûts variés et infinis. La plupart du temps, je garde la bouteille et je l’ajoute à une collection que j’ai fusionnée avec mes bibliothèques. Généralement, avant d’acheter une nouvelle bière, je vais l’analyser pour sélectionner quelque chose allant dans un certain sens. Mais quand j’ai vu cette bière du brasseur RJ de Montréal, même si elle était au pamplemousse et à l’orange, je me suis dit que je l’achèterais, ne serait-ce que pour la mettre dans ma galerie d’art à cause du branding et du nom : Sainte paix.

Au Québec, l’expression “sainte paix” est utilisée pour parler d’un moment où notre esprit peut trouver une tranquillité profonde, totale. Aussi, cette expression est souvent utilisée dans le cadre plus ou moins implicite d’un contraste avec quelque chose d’exaspérant ou de frustrant. “Je vais aller au chalet, je vais avoir la sainte paix.” En disant ça, on affirme clairement par là que le chalet offre le repos complet pour nous, mais on sous-entend aussi qu’ailleurs qu’au chalet, c’est stressant (voire même, c’est l’enfer, le monde à l’envers).

Mais cet état de paix profonde se résume-t-il à des parcelles de temps ou un concours de circonstances ici et là? Est-ce possible de trouver la paix même au travers de situations stressantes ou exaspérantes du quotidien?

Plus que les autres évangélistes, Luc semble avoir été intéressé à expliquer en quoi la mission de Jésus avait rapport avec la paix. Le mot grec pour paix, εἰρήνη (eirene), revient 14 fois dans l’évangile de Luc12:14, 29, 7:50, 8:48, 10:5-6, 11:21, 14:32, 19:38, 42, 24:36. En ligne. alors qu’il vient seulement 1 fois en Marc, 4 fois en Matthieu et 5 fois chez Jean2et 7 fois en Actes.. Par exemple, Luc est le seul à rapporter cette parole de Jésus où il affirme clairement être mécompris sur la sorte de paix qu’il est venu apporter au peuple juif (il s’adresse aux Juifs en personnifiant la ville de Jérusalem) : “Si toi aussi, au moins en ce jour qui t’est donné, tu connaissais les choses qui appartiennent à ta paix! Mais maintenant, elles sont cachées à tes yeux.” (Luc 19:42)

Si on met en parallèle ces passages lucaniens parlant de la paix, certains nous apparaîtront paradoxaux pour ne pas dire contradictoires. Par exemple, Jésus dit qu’il n’est pas “venu apporter la paix sur la terre” (Luc 12:51-53), mais en même temps, au début du même évangile, avant qu’il soit né, on disait concernant la mission du Seigneur qu’il venait “pour diriger nos pas vers le chemin de la paix.” (Luc 1:78-79) Mais comment devons-nous comprendre la paix que Jésus offre?

En Luc 12, Jésus déconstruit la conception populaire du rôle que le Messie devait jouer. On s’attendait à ce que le Christ établisse la suprématie de la nation juive en renversant l’Empire romain et qu’il amorce une ère de grande prospérité pour le peuple élu de Dieu. Vus comme ça, ils s’attendaient à ce que Jésus instaure une paix politique pour le peuple juif, une paix “extérieure”. Au contraire, dit Jésus, plutôt que d’imposer une paix par le haut, son message aura l’effet de séparer même certaines familles!3Il me semble difficile de comprendre le sens d’une telle parole (que Christ vient pour diviser) à moins d’y voir que Christ demande une allégeance à son égard qui est apparente à l’allégeance que les Juifs avaient envers Dieu, YHWH. D’où les divergences de points de vue sur Jésus et la perception très négative des non-chrétiens en contexte monothéiste. Jésus prévenait les disciples que la foi en lui ne pouvait être éteinte pas même par des pressions familiales antagonistes à la nouvelle foi apparaissant hérétique aux yeux des non chrétiens. Le contexte littéraire et social suppose aussi une persécution envers les nouveaux disciples de Christ. En ce sens, il faut comprendre la division comme étant initiée par les membres de la famille qui sont non-chrétiens à la nouvelle de la conversion de l’un ou l’autre membre de la famille. Les chrétiens sont des artisans de paix et subissent la violence à cause du message théologique dont ils sont porteurs. La vraie paix ne s’impose pas de l’extérieur. Christ est venu d’abord pour sensibiliser les hommes quant à leurs propres responsabilités concernant les injustices et les violences dans ce monde. En les amenant à faire la paix avec Dieu par le renoncement à être notre propre Dieu, Christ voulait implanter la paix sur la terre de l’intérieur. En faisant la paix avec Dieu dans leur coeur, les hommes deviennent des artisans de paix, des pacifistes dans le monde. Et ainsi, la paix dans le monde s’installe de plus en plus sans qu’elle ait été imposée d’en haut. Bref, à ce moment-ci, Christ affirme que son message n’aura pas comme premier effet d’apporter une paix interpersonnelle, une harmonie sociale (bien que ce sera certainement l’effet à long terme de son message parmi ceux et celle qui le reçoivent comme il est écrit en Luc 2:14 : “Et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée !”). Car une telle paix forcée de l’extérieure qui n’est pas désirée de tous, comme un cheveux sur une soupe, finirait tôt ou tard par provoquer l’effet inverse. Jésus a une façon plus difficile, mais plus durable…

En Luc 1, il est écrit que Jésus est venu “pour diriger nos pieds sur le chemin de la paix.” En grec, la préposition “εἰς ὁδὸν εἰρήνης” (vers le chemin de paix) implique que nos pas sont dirigés vers le chemin de la paix avec l’intention d’y entrer. Autrement dit, Jésus est présenté comme un guide nous invitant autant à commencer à marcher sur un chemin de paix qu’à continuer d’y marcher.4Certaines versions bibliques traduisent εἰς par “vers” (NBS), “dans” (COL, LSG), “sur” (BFC, PDV, TOB). “Vers” met beaucoup l’emphase entre le moment initiale où on n’est pas sur le chemin et le moment ou on l’atteint alors que la préposition met autant d’emphase entre “vers” et “sur” le chemin; “dans” semble supposer qu’on est déjà sur le chemin”; “sur” est probablement la meilleure traduction, car il semble à la fois rendre possible la double idée d’aller vers ce chemin et de continuer à marche dans ce chemin. Mais encore là, il me semble qu’on pourrait dire que “sur”, comme “dans”, ne met pas assez en lumière l’idée d’aller d’abord vers ce chemin, l’idée qu’à la base, on n’est pas déjà en train de marcher dans ce chemin de paix avant que Jésus nous y guide. Christ est venu pour nous offrir d’être notre guide dans l’exploration de cette paix que nous soyons hors de ce chemin ou sur chemin, ayant déjà emboîté le pas dans le passé. Aussi, l’image du chemin suppose que nous désirons poursuivre cette paix et que nous sommes même prêts à marcher avec Christ pour la trouver.

Or, ce n’est pas dans l’alignement du monde extérieur à mes désirs que je trouverai la paix durable (quoiqu’il va de soi qu’un minimum requis soit nécessaire pour notre bien-être psychologique et émotionnel). D’une côté, une trop grande emphase sur cette approche aurait comme effet d’alimenter mon égo comme c’est le cas des enfants-rois. De l’autre côté, une telle approche est nécessairement impossible dans la pratique : des millions d’autres “moi” antagonistes souhaitant une situation extérieure différente à mon désir rendrait impossible l’harmonie interpersonnelle.

Au contraire, c’est par la mort à soi, par le chemin de la croix, du refus de faire sa propre volonté pour faire celle de Dieu le Père que nous trouverons la sainte paix 2.0. C’est le chemin que Jésus a emprunté et qu’il nous montre. Ce chemin assure la vraie paix, car même si des choses du monde extérieur me troublent, je sais que cela a un sens, que Dieu me travaille pour me rendre meilleur, avec plus de maitrise de soi ou d’autres vertus. Ce chemin assure la vraie paix, car même si des choses en moi-même me troublent (sentiment d’être inadéquat devant Dieu), que Dieu me regarde favorablement et m’accepte pleinement en Christ.

D’autres façonnent le monde selon leurs désirs (à différents niveaux d’intensité) en froissant les gens autour d’eux. Ils peuvent certainement le faire avec l’impression d’avoir l’esprit en paix. Mais j’ose croire que c’est une fausse paix, qui du fond de leur conscience, est fort probablement remise en question. La paix que Jésus offre, c’est l’assurance que même si ton monde s’écroulait, Dieu est pour toi et il ne t’abandonnera jamais. C’est une paix qui mène ultimement à la possibilité d’un monde où harmonieux sans que les individus soient brimés. Car la seule façon “d’éviter la guerre entre des millions de “moi” antagonistes5Je reprend ici l’expression de Philipe Sellier qui l’appliquait à la politique. Philippe Sellier. 2009. Pascal : Textes choisis et présentés par Philippe Sellier. Lonrai: Éditions Points, p.110, c’est d’amener ces “moi” à mourir à soi, à se décentraliser, à abandonner humblement leurs attentes entre les mains de Dieu.

Cette citation anonyme résume bien les différentes sortes de paix possible : “L’égo dit : ‘Quand tout sera en place, je trouverai la paix.’ L’âme dit : ‘Trouve la paix et tout se mettra en place.’” Selon Jésus, la paix intérieure précède la paix extérieure dans un monde avec plusieurs “moi” antagonistes. La paix face à Dieu précède la paix entre les humains.

J’aime le branding de la bière “Sainte paix”, car on illustre un gars sur son balcon, exposé à la douceur du soleil avec une bonne bière et c’est pas mal le genre de scénario idéal pour moi pour décompresser. On y ajoute un bon livre et le bord de l’eau et, dans mon jargon québécois, ça serait la sainte paix. Mais au-delà de cette sainte paix qui se résume à “des conditions relaxantes idéales liées à un environnement”, l’Évangile me pousse à chercher une paix plus profonde quand il me dit que Christ n’est pas venu apporter la paix sur la terre, mais qu’il est venu guider nos pas sur le chemin de paix. Cette sainte paix 2.0, pour moi, c’est savoir que, mêmes dans les conditions stressantes et parfois frustrantes de la vie, Dieu m’accueille tel que je suis, qu’il est présent pour me supporter à chaque instant et me donner la patience, qu’il donne sens à ma vie et me promet qu’elle sera éternelle. D’après moi, c’est cette richesse provenant d’un bon rapport à Dieu en Jésus qui représente la paix la plus profonde à laquelle l’humain peut aspirer. Mais ce n’est pas donné “tout cuit dans le bec” une fois pour toute. C’est plutôt un apprentissage continuel qui demande un bon vouloir initial et continuel de marcher dans ce sens… il est venu pour guider nos pas sur le chemin de la paix, pas pour nous forcer à marcher sur ce chemin.

En ces temps de Noël où Star Wars marque notre imaginaire collectif, je terminerai avec une note un peu similaire à celle rendue fameuse par George Lucas : “Que le Dieu de paix soit avec vous!”6Romains 15:33; Encore plus souvent qu’un Dieu d’amour, les Écritures parlent de Dieu comme d’un Dieu de paix, c.f. Romains 16:20, 1 Corinthiens 14:33, 2 Corinthiens 13:11, Éphésiens 2:14, Philippiens 4:9, 1 Thessaloniciens 5:23, 2 Thessaloniciens 3:16, Hébreux 13:20

Références

Références
1 2:14, 29, 7:50, 8:48, 10:5-6, 11:21, 14:32, 19:38, 42, 24:36. En ligne.
2 et 7 fois en Actes.
3 Il me semble difficile de comprendre le sens d’une telle parole (que Christ vient pour diviser) à moins d’y voir que Christ demande une allégeance à son égard qui est apparente à l’allégeance que les Juifs avaient envers Dieu, YHWH. D’où les divergences de points de vue sur Jésus et la perception très négative des non-chrétiens en contexte monothéiste. Jésus prévenait les disciples que la foi en lui ne pouvait être éteinte pas même par des pressions familiales antagonistes à la nouvelle foi apparaissant hérétique aux yeux des non chrétiens. Le contexte littéraire et social suppose aussi une persécution envers les nouveaux disciples de Christ. En ce sens, il faut comprendre la division comme étant initiée par les membres de la famille qui sont non-chrétiens à la nouvelle de la conversion de l’un ou l’autre membre de la famille. Les chrétiens sont des artisans de paix et subissent la violence à cause du message théologique dont ils sont porteurs.
4 Certaines versions bibliques traduisent εἰς par “vers” (NBS), “dans” (COL, LSG), “sur” (BFC, PDV, TOB). “Vers” met beaucoup l’emphase entre le moment initiale où on n’est pas sur le chemin et le moment ou on l’atteint alors que la préposition met autant d’emphase entre “vers” et “sur” le chemin; “dans” semble supposer qu’on est déjà sur le chemin”; “sur” est probablement la meilleure traduction, car il semble à la fois rendre possible la double idée d’aller vers ce chemin et de continuer à marche dans ce chemin. Mais encore là, il me semble qu’on pourrait dire que “sur”, comme “dans”, ne met pas assez en lumière l’idée d’aller d’abord vers ce chemin, l’idée qu’à la base, on n’est pas déjà en train de marcher dans ce chemin de paix avant que Jésus nous y guide.
5 Je reprend ici l’expression de Philipe Sellier qui l’appliquait à la politique. Philippe Sellier. 2009. Pascal : Textes choisis et présentés par Philippe Sellier. Lonrai: Éditions Points, p.110
6 Romains 15:33; Encore plus souvent qu’un Dieu d’amour, les Écritures parlent de Dieu comme d’un Dieu de paix, c.f. Romains 16:20, 1 Corinthiens 14:33, 2 Corinthiens 13:11, Éphésiens 2:14, Philippiens 4:9, 1 Thessaloniciens 5:23, 2 Thessaloniciens 3:16, Hébreux 13:20

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