Le porc : qu’en dit la Bible et le Coran?

07/07/2015
Comme mentionné dans mon dernier article, je vais maintenant adresser la question de mon ami musulman (MAM) qui m’a pointé quelques textes de l’Ancien Testament1Voici les textes de l’AT en question : 1) Lévitique 11:7-8 : “Le porc, qui a le sabot fendu et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas : vous le considérerez comme impur. Vous ne mangerez pas de leur chair et vous ne toucherez pas à leurs cadavres : vous les considérerez comme impurs.” 2) Deutéronome 14:7-8 : “Mais voici ceux que vous ne mangerez point parmi ceux qui ruminent et qui ont le sabot fendu et fourchu : le chameau, le lièvre et le daman, qui ruminent, mais qui n’ont pas le sabot fendu : ils seront impurs pour vous ; le porc, qui a le sabot fendu, mais qui ne rumine pas : il sera impur pour vous ; vous ne mangerez pas de leur chair et vous ne toucherez pas à leurs cadavres. 3) Ésaïe 65:2-4 : “J’ai tendu mes mains tout le jour vers un peuple rétif Qui marche dans une voie mauvaise Au gré de ses pensées, Vers un peuple qui ne cesse de m’irriter en face, Sacrifiant dans les jardins, Et brûlant de l’encens sur les briques ; Qui habite dans des tombeaux Et passe la nuit dans les cavernes, Qui mange de la viande de porc Et qui a dans ses récipients des mets impropres” concernant l’interdiction de manger du porc… Pourquoi les chrétiens mangent-ils de cet animal même si certains passages de la Bible l’interdisent?

1 – Le concept d’abrogation dans le Coran et la Bible

Dans l’article précédent, j’ai exposé certaines inconsistances coraniques sur le thème de l’alcool. J’ai entre autres démontré qu’après une période où l’alcool était toléré, Mohammed l’interdit. Plusieurs autres ordonnances comme celle-là furent contredites par des révélations coraniques ultérieures. Ces contradictions suscitèrent la suspicion chez certains croyants ce qui a été éventuellement atténué par la révélation du concept d’abrogation. Cette notion affirme essentiellement que si deux versets dans le Coran entrent en contradiction, le dernier verset révélé annule le premier. Ainsi, la dernière révélation rend périmée la première et représente la nouvelle loi valide pour les musulmans : “Si Nous abrogeons un verset quelconque ou que Nous le fassions oublier, Nous en apportons un meilleur, ou un semblable. Ne sais-tu pas qu’Allah est Omnipotent?” (Sourate 2:106; c.f. 16:101)

Sur la base du principe d’abrogation que le Coran lui-même fournit, les musulmans comprennent donc qu’un commandement puisse être valide pour un temps et ne plus l’être éventuellement. Pour qu’un musulman comprenne la perspective chrétienne, il doit réaliser que la Bible, comme le Coran, fournit un principe d’abrogation qui rend caducs, périmés, dépassés certains commandements, notamment la question de manger du porc.

Cependant, il y a au moins deux différences entre le principe coranique et le principe biblique d’abrogation. D’un côté, il y a la rapidité avec laquelle un commandement peu être abrogé et, de l’autre côté, la raison offerte pour expliquer l’abrogation.

  • Rapidité : Alors que le principe d’abrogation s’actualise dans le discours d’un seul et même prophète dans le Coran (tantôt Mohammed dit quelque chose et tantôt Mohammed dit le contraire), le principe d’abrogation arrive après plusieurs siècles et après plusieurs prophètes dans la Bible. Elle n’arrive qu’avec Jésus, qui est plus qu’un prophète et qui est le dernier envoyé de Dieu.
  • Raison : Alors que le principe d’abrogation se fait de façon arbitraire, sans raison explicite sinon sur la base de la mystérieuse sagesse d’Allah dans le Coran, la raison du changement est mentionnée dans la Bible : la mort expiatoire et la résurrection de Jésus. Explications…

2 – Raisons expliquant le changement du rapport à la loi mosaïque dans le NT

a) Identité spéciale du Réformateur

Dans la parabole des vignerons (Marc 12:1-12), Jésus parle d’une succession de prophètes que Dieu envoie, après quoi, comme tentative finale d’avoir les récoltes de la vigne, il envoie “son fils bien-aimé”2Marc 12.6 : “Il avait encore un fils bien-aimé; il l’envoya vers eux le dernier, en disant: Ils auront du respect pour mon fils.”. Mais les vignerons refusent de donner les fruits de la vigne et usent de violence à l’égard de tous les envoyés. Ils vont même jusqu’à tuer le fils du propriétaire à la fin. Jésus montre par là qu’il se voyait lui-même comme étant plus qu’un simple prophète. En tant que Fils de Dieu, Jésus a donc plus d’autorité qu’un prophète normal. C’est parce que Dieu fait quelque chose de nouveau, de sans précédent, d’unique dans l’histoire de l’humanité en envoyant son propre Fils (qui est plus grand que Moïse, que le roi David, que Salomon, etc.) que les choses vont changer et qu’elles ne seront plus comme dans l’Ancien Testament…

b) Commencement d’une réforme par Jésus

En parlant de manières telles que sa parole avait plus d’autorité que celle de Moïse, en démontrant une compréhension et une pratique nouvelle du sabbat, en remettant en question les rites juifs de purification et de séparation d’avec les païens et les gens de mauvaise vie, en parlant de son propre corps comme du temple, Jésus a sans aucun doute initié lui-même la réforme chrétienne sur le rapport à la loi et l’Ancien Testament.

La loi de l’Ancienne Alliance reposait principalement sur la notion de sainteté et donc la séparation du peuple juif des autres nations (car c’était s’en doute le premier enseignement que Dieu devait leur inculqué : vous serez saint, car je suis saint – Lévitique 20:26) :

Pour les rabbins, l’obéissance à Dieu demande de rester pur pour Dieu et la pureté était assurée par les lois visant la séparation des idolâtres et les autres sources d’impureté. La circoncision et les lois religieuses juives concernant l’alimentation (kashrut) étaient deux pratiques qui assuraient cette séparation. Rien ne sépare mieux les gens que d’avoir à subir une chirurgie difficile comme la circoncision et l’interdiction de manger avec les personnes non-circoncises3Ellen T. Charry, “The Grace of God and the Law of Christ.” Interpretation 57, no. 1 (2003): 37.

Mais vient le temps où Dieu désire démontrer que la sainteté divine n’est pas faible et peureuse pour justifier une réclusion du monde. La sainteté de Dieu va vers le monde pécheur et le transforme comme Christ est parti des cieux pour venir sur la terre. Cela a comme effet que la loi de Moïse basé sur la notion radicale de sainteté devait faire place à la loi de Christ, qui prenant pour acquis la sainteté étant lui-même saint, transpose maintenant la loi en plus vers la notion de l’amour :

La mort et la résurrection de Jésus mènent à une nouvelle pratique religieuse, un nouveau chemin de vie, une nouvelle torah (loi/enseignement). (…) Le croyant n’a pas à se protéger des idolâtres. Au contraire, le croyant est appelé à purifier le monde en pratiquant le style de vie de la croix et à subvertir de haut en bas les valeurs du monde par l’espoir de la résurrection. (…) La croix et la résurrection, et non pas le décalogue, représentent ce qui essentiel et fondamental pour Paul. Ces évènements reformulent la définition de la piété et régulent la pratique d’une vie pure. La régulation de la sexualité et des disputes légales, les critères de bienséances dans l’assemblée, la façon de manger ensemble et de faire la communion, la conduite dans le mariage émergent tous de la sagesse de la croix4Ibid., p.36-38. La parenthèse sur la Torah est de moi..

c) Nécessité théologique de la réforme basée sur l’oeuvre expiatoire de Christ5Autre point possible à développer : Nécessité missiologique de la réforme basée sur le grand mandat de Christ (c.f. Actes 15).

Grâce à sa mort et sa résurrection, Jésus offre gratuitement sa justice, sa perfection à ceux et celles qui croient en lui, de sorte que le rapport profond des chrétiens envers Dieu change radicalement. Ce rapport n’est plus une relation légale (celle d’un coupable vis-à-vis un juste juge), mais une relation filiale (celle d’un enfant adopté par Dieu et inclus dans sa famille). Cela fait en sorte que le chrétien n’est plus “sous la loi de Moïse”, mais “sous la loi de Christ” :

  • Romains 10.4 : car Christ est la fin de la loi [de Moïse], pour la justification de tous ceux qui croient.
  • 1 Corinthiens 9.21 : avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi (quoique je ne sois point sans la loi de Dieu, étant sous la loi de Christ), afin de gagner ceux qui sont sans loi.
  • Galates 6.2 : Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Christ.

Dans ce nouveau rapport, ce qui est demandé aux chrétiens (et ce qui vient spirituellement aussi quand on réalise l’étendue et la profondeur de l’amour de Dieu pour nous), c’est de chercher à plaire à Dieu de plus en plus alors que nous apprenons à le connaître personnellement, à voir ses valeurs, à voir comme lui, à penser comme lui de plus en plus. Car la loi eut son utilité, mais ses limites aussi :

23 Avant que la foi vienne, nous étions enfermés sous la surveillance de la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. 24 Ainsi la loi a été un précepteur pour nous conduire à Christ afin que nous soyons justifiés par la foi. 25 La foi étant venue, nous ne sommes plus sous ce précepteur. (Galates 3:23-24)

La loi était un précepteur. Qu’est-ce qu’un précepteur? C’est un “éducateur engagé par une famille aisée pour assurer l’instruction et l’éducation d’un enfant ou adolescent6CNRTL : En ligne..”

Cela fait en sorte que nous n’avons plus à obéir à la loi cultuelle de l’A-T, mais seulement à la loi morale. La loi cultuelle, c’est les commandements qui ne concernent pas des pratiques intrinsèquement ce qui est juste ou injuste, bien ou mal, mais qui visait plutôt l’enseignement de certaines notions comme celle de l’élection du peuple juif et de sa sainteté, sa mise à part (séparation avec les autres nations afin de garder sa pureté). Par exemple, il n’est pas interdit aux chrétiens de se couper les coins de leur barbe comme c’était le cas pour les Juifs (Lévitique 19.27). C’était un commandement cultuel et non moral. Y’a rien de mal en tant que tel de se couper les coins de barbes. C’était mal pendant un temps pour le peuple juif puisque Dieu l’avait commandé pour une raison spécifique, mais Dieu aurait pu ne pas donner ce commandement sans violer la réalité morale. Par opposition, Dieu ne pourrait pas interdire le viol pendant un temps, et après, dire que c’est correct, car cet acte est intrinsèquement mauvais.

d) Prédiction prophétique concernant un changement éventuel d’alliance

Il faut dire, en plus de tout ça, que Dieu avait déjà annoncé, prédit, prophétisé qu’il ferait une nouvelle alliance dans l’A-T et que les choses changeraient concernant sa loi (Jé 31:31) : “Voici que les jours viennent, — Oracle de l’Éternel —, où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda, une alliance nouvelle…7Voir aussi les v.32-34 où l’on parle qu’en ce jour, il y a aura une connaissance personnelle de Dieu chez chaque croyant (v.33-34) et qu’il y aura le pardon de leurs fautes (v.35). Ces deux éléments étaient aussi prédits en Ésaïe 53:11 (“Par la connaissance qu’ils auront de lui, mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes et se chargera de leurs fautes”). Ces deux thèmes s’accomplissent clairement dans le Nouveau Testament où, par exemple, Paul dira que son but est de connaître Jésus (Philippiens 3:10) et où le thème du pardon des péchés est central.

La lettre aux Hébreux explique en long et en large cette prophétie et comment la nouvelle alliance en Jésus rend caduque l’Ancienne Alliance et nous libère des lois cultuelles (voir Hébreux 8:7-13, Hébreux 10:8-9). Hébreux 9:10-11 répond clairement à ce point concernant l’interdiction de manger du porc :

“Ce ne sont là que des ordonnances relatives à la chair, portant sur des aliments, des boissons et différents bains rituels et imposés jusqu’à un temps de réforme. Mais Christ est venu…”

Conclusion

Il est vrai qu’en ce qui concerne le porc, certains passages de l’Ancien Testament comme Lévitique 11:7-8 et Ésaïe 65:2-5 interdisaient de manger cet animal. Cependant, les musulmans devraient comprendre que la Bible, tout comme le Coran, fournit un principe d’abrogation. Alors que ce principe semble arbitraire dans le Coran, car enveloppé par la “mystérieuse sagesse” d’Allah, le Dieu de la Bible n’opère qu’un changement au niveau de la loi mosaïque qu’avec son dernier envoyé : son propre Fils. La vie, l’enseignement et surtout son passage à la croix et sa résurrection représentent le nouvel axiome à partir duquel le principe moral qui dirige les chrétiens s’inspire. L’interdiction de manger du porc visait la séparation des Juifs d’avec les autres nations afin que les Juifs intègrent la sainteté de Dieu. Maintenant que Jésus est venu et qu’il nous a lui-même sanctifiés par son sacrifice à la croix, Dieu veut faire une chose nouvelle : inviter les croyants à aller dans le monde et, avec cette sainteté qui les habite, le transformer par amour comme Jésus a quitté les cieux pour venir nous faire du bien à nous, pécheurs.

Car, en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l’incirconcision n’a de valeur, mais la foi qui est agissante par l’amour (Galates 5:6:).

Références

Références
1 Voici les textes de l’AT en question : 1) Lévitique 11:7-8 : “Le porc, qui a le sabot fendu et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas : vous le considérerez comme impur. Vous ne mangerez pas de leur chair et vous ne toucherez pas à leurs cadavres : vous les considérerez comme impurs.” 2) Deutéronome 14:7-8 : “Mais voici ceux que vous ne mangerez point parmi ceux qui ruminent et qui ont le sabot fendu et fourchu : le chameau, le lièvre et le daman, qui ruminent, mais qui n’ont pas le sabot fendu : ils seront impurs pour vous ; le porc, qui a le sabot fendu, mais qui ne rumine pas : il sera impur pour vous ; vous ne mangerez pas de leur chair et vous ne toucherez pas à leurs cadavres. 3) Ésaïe 65:2-4 : “J’ai tendu mes mains tout le jour vers un peuple rétif Qui marche dans une voie mauvaise Au gré de ses pensées, Vers un peuple qui ne cesse de m’irriter en face, Sacrifiant dans les jardins, Et brûlant de l’encens sur les briques ; Qui habite dans des tombeaux Et passe la nuit dans les cavernes, Qui mange de la viande de porc Et qui a dans ses récipients des mets impropres”
2 Marc 12.6 : “Il avait encore un fils bien-aimé; il l’envoya vers eux le dernier, en disant: Ils auront du respect pour mon fils.”
3 Ellen T. Charry, “The Grace of God and the Law of Christ.” Interpretation 57, no. 1 (2003): 37
4 Ibid., p.36-38. La parenthèse sur la Torah est de moi.
5 Autre point possible à développer : Nécessité missiologique de la réforme basée sur le grand mandat de Christ (c.f. Actes 15).
6 CNRTL : En ligne.
7 Voir aussi les v.32-34 où l’on parle qu’en ce jour, il y a aura une connaissance personnelle de Dieu chez chaque croyant (v.33-34) et qu’il y aura le pardon de leurs fautes (v.35). Ces deux éléments étaient aussi prédits en Ésaïe 53:11 (“Par la connaissance qu’ils auront de lui, mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes et se chargera de leurs fautes”). Ces deux thèmes s’accomplissent clairement dans le Nouveau Testament où, par exemple, Paul dira que son but est de connaître Jésus (Philippiens 3:10) et où le thème du pardon des péchés est central.

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