La violence dans la Bible : pourquoi Jésus incite-t-il à acheter des épées ?

12/06/2014

Suite à mon dernier article sur la violence dans le Coran et dans la Bible, mon ami musulman (MAM par la suite) m’a réécrit pour me dire que j’ai oublié certains passages ailleurs dans le Nouveau Testament où, d’après lui, l’on voit Jésus prôner la violence :

Tu dis que le message de Jésus était un message d’amour, mais c’est faux. Luc 22,36 est la preuve que le message de Jésus est un message de violence : “Et il leur dit : ‘Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne et que celui qui a un sac le prenne également, que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée.'”

Est-ce là réellement une preuve que le message de Jésus n’en était pas un d’amour, mais de violence ? Après tant d’enseignement sur l’amour, Jésus aurait-il changé son discours à la fin, sous la pression ? Pourquoi Jésus parle-t-il d’acheter des épées ? En Luc 22,36, Jésus n’incite pas du tout à la violence. Je vais d’abord démontrer qu’une interprétation littérale de ce verset est incohérente avec le contexte et inadmissible. Ensuite, je vais expliquer ce que Jésus voulait probablement dire en parlant ainsi. Avant tout, prenons le temps de lire Luc 22,35-38, le contexte immédiat du v. 36 :

Il leur dit encore : “Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ?” Ils répondirent : “De rien.” Et il leur dit : “Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a un sac et que celui qui n’a pas d’épée vende son vêtement et en achète une. Car, je vous le dis, ce qui est écrit doit s’accomplir en moi : ‘Il a été compté parmi les malfaiteurs.’ Et ce qui me concerne touche à sa fin.” Ils dirent : “Seigneur, voici deux épées.” Et il leur dit : “C’est assez.”

1. L’impossibilité d’une interprétation littérale

1.1. Une interprétation littérale du v. 36 contredit par le v. 38

Premièrement, notons que quelques versets après le v. 36, les apôtres affirment à Jésus qu’ils ont deux épées, ce à quoi Jésus leur répond : “C’est assez” (Luc 22,38) ! Nous pouvons comprendre cette réponse de deux manières.

La première façon de comprendre cela est de dire que par “C’est assez !”, Jésus voulait dire “C’est suffisant… Avec deux épées, nous réussirons à nous défendre face aux attaques qui s’en viennent.” Mais Jésus pensait-il vraiment que deux épées étaient assez pour faire face à une foule de chefs religieux qui s’en venait avec des gardes armés d’épées (Luc 22,47.52) ? Non, ça serait ridicule comme “stratégie militaire”. Ou pour se révolter contre Rome et ses légions de soldats? Encore moins. Penser que Jésus croyait que deux épées étaient suffisantes pour faire la guerre n’a tout simplement pas de sens.

La deuxième façon de comprendre la réponse de Jésus est d’y voir une conclusion abrupte à la discussion : “Ça suffit, vous ne comprenez rien !” Ce genre de réponse se trouve aussi en Deutéronome 3,26 : “L’Éternel me dit : ‘C’est assez, ne me parle plus de cette affaire.'” Tous les théologiens que j’ai consultés s’entendent pour dire que c’est dans ce sens que nous devons comprendre Jésus en Luc 22,38 :

  • Joel B. Green : “Ses mots ‘C’est assez !’ expriment son exaspération” (1997, p. 775) !
  • Robert H. Stein : “Assez de cette conversation insensée” (1992, p. 556).
  • M. Eugene Boring : “D’un côté, les disciples ont mal compris l’enseignement de Jésus en y voyant seulement un sens prosaïque et littéral et, de l’autre côté, Jésus met un terme par là à la conversation” (2010, p. 271-272).
  • Luke Timothy Johnson : “Jésus termine la discussion avec exaspération” (1991, p. 347).
  • Fred B. Craddock : “Assez de cette discussion ! Laissons tomber le sujet” (1990, p. 260).

Cette incompréhension des disciples n’est pas nouvelle (Luc 9,45, 18,34). Après la résurrection de Jésus et la réception du Saint Esprit, ils comprendront le sens de plusieurs paroles de Jésus qui leur étaient mystérieuses. Pendant le ministère de la vie de Jésus, certaines affirmations de Jésus dépassaient simplement leur entendement.

Ce premier point où je mets en dialogue Luc 22,36 avec 22,38 démontre que Jésus ne voulait pas se faire comprendre littéralement lorsqu’il parlait d’épée, mais qu’il a utilisé une métaphore pour souligner un point que les disciples n’ont pas compris (point que j’explique plus loin). Une deuxième raison me permet d’affirmer que le point de Jésus au v. 36 n’était pas littéralement d’acheter des épées…

1.2. Une interprétation littérale du v. 36 contredit par le v. 51

Deuxièmement, Pierre fini par frapper un des gardes et lui coupa l’oreille, mais Jésus critiqua cette action et s’y opposa manifestement en guérissant l’homme blessé : “Mais Jésus dit : ‘Laissez, cela suffit !’ Puis il toucha l’oreille de l’homme et le guérit” (Luc 22,51). Pourquoi est-ce que Jésus aurait dit, d’un côté “Achetez une épée” afin de l’utiliser de façon violente pour ensuite, de l’autre côté, s’opposer à la mise en pratique de ce qu’il venait de dire ? Cette incohérence rend encore plus manifeste que les disciples ont mal compris Jésus en interprétant littéralement sa phrase qui disait d’acheter une épée.

Pour le même épisode, les autres évangiles confirment cette opposition catégorique de Jésus à utiliser la violence :

  • Matthieu 26:52 : “Alors Jésus lui dit : ‘Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée.'”
  • Jean 18:11 : “Jésus dit à Pierre : ‘Remets ton épée au fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée ?'”

Nous avons donc une deuxième raison d’affirmer que l’interprétation littérale du v. 36 n’est pas adéquate. J’en noterais une troisième brièvement. Quelques versets avant le verset sur l’épée, Jésus enseignait encore l’amour à ses disciples. D’une part, il enseignait de ne pas dominer et oppresser comme le font les dirigeants du monde. D’autre part, que le plus grand parmi eux (celui qui a le plus de pouvoir, d’influence, de leaderhip) devait faire comme Jésus et mettre son pouvoir au service des autres, pour le bien des autres, pour prendre soins d’eux (Luc 22,24-27). Je pourrais continuer en démontrant comment Jésus savait depuis longtemps qu’il allait mourrir à Jérusalem et qu’il y a été intentionnellement pour donner sa vie pour sauver les pécheurs. Les raisons bibliques contre une interprétation littérale de Luc 22,36 sont nombreuses.

Mais si Jésus ne voulait pas dire d’acheter littéralement des épées pour se protéger, que voulait-il dire alors ? C’est ce que nous regarderons maintenant…

2. Le but de la métaphore de Jésus

2.1. Avant le v. 36 : de l’hospitalité à l’hostilité

Le verset cité par MAM (Luc 22,36) commence ainsi : “Et il leur dit : ‘Maintenant, au contraire, que celui qui…” Au contraire de quoi ? Qu’est-ce que Jésus cherche à mettre en contraste ? Lisons le verset précédent :

Il leur dit encore : “Quand je vous ai envoyé sans bourse ni sac ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ?” Ils répondirent : “De rien” (Luc 22,35).

Le v. 36 s’inscrit dans le cadre d’une comparaison globale que Jésus fait entre la mission avant et après le moment où ils sont rendus (juste avant son arrestation). La question que demande Jésus aux disciples s’avère rhétorique. Elle appelle à une réponse négative suite à une considération générale. Un disciple ne saisirait pas l’argumentation s’il lui répondait : “c’est arrivé que nous n’avons pas eu de petit déjeuner un matin alors que nous étions en mission.” Comme Luke Timothy Johnson le dit :

Le point ne concerne pas les détails, mais la réponse négative que la forme de la question demande. Ils n’ont manqué de rien, car ils étaient reçus par l’hospitalité des croyants ; c’est précisément ce contexte d’hospitalité qui ne peut plus être présumé désormais (1991, p. 346).

Ils sont à un point tournant. Les choses vont changer et Jésus offre une image saisissante pour le leur communiquer. Au même titre que la question rhétorique concernait un seul point majeur (ils n’ont rien manqué), l’ordre d’avoir certains éléments pour le voyage (une bourse, un sac, une épée) vise à faire un point majeur : ils doivent être prêts à faire face à l’hostilité qui caractérisera maintenant la disposition sociale à leur égard. Autrement dit, ils doivent se préparer aux nouvelles conditions liées à la mission, conditions qui ne seront plus en leur faveur, mais en leur défaveur :

L’hyperbole de l’affirmation devrait être évidente. Vendre son manteau pour une épée n’est pas à prendre littéralement, mais symboliquement : ils sont sur le point d’entrer dans une période de mise à l’épreuve dans laquelle ils seront sans ressources externes et en danger (Johnson, 1991, p. 347).

Ça ne sera plus comme avant. Comment était-ce avant ? C’était la mission dans les conditions idéales socialement et spirituellement.

2.1.1. Socialement : la disposition de l’opinion publique ne sera plus la même

Dans le passé, pour faire la mission, les disciples n’avaient même pas besoin de penser à l’argent ou aux provisions pour le voyage (“je vous ai envoyés sans bourse ni sac ni sandales”). Luc 9,1-6 et Luc 10,1-20 sont deux passages où l’on voit Jésus envoyer ses disciples en mission. Dans cet “avant”, dans le pire des cas, ils étaient reçus avec indifférence sinon positivement (Luc 10,6-8).

Dans ce dernier cas, les gens pourvoyaient à leurs besoins en leur offrant nourriture et logement. Maintenant, ils devront être plus indépendants sur le plan social puisque l’hostilité augmentera significativement à leur égard dès l’arrestation de Jésus. Dans une heure ou deux, Judas arrivera avec les chefs religieux et les soldats pour arrêter Jésus et le vent tournera radicalement. Puisque Jésus sera perçu comme un malfaiteur, il en sera de même pour les disciples : ils ne tireront plus profit d’une opinion publique favorable.

2.1.2. Spirituellement : Satan fait un retour en force

Le contexte immédiat de Luc 22,36 démontre qu’il y a aussi une dimension spirituelle attachée à ce changement.

Plus tôt dans l’évangile de Luc, on pouvait voir comment le Royaume de Jésus était en train de détruire le royaume de Satan. C’est notamment le cas lors du deuxième envoi en mission des disciples qui revinrent stupéfaits parce que même les démons leur étaient soumis (Luc 10,17). En réponse à cela, Jésus leur dit : “Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair” (Luc 10,18). Après cela, on n’entend plus parler de Satan du reste de l’évangile de Luc…

…Jusqu’au soir de l’arrestation de Jésus. Satan fait un ultime retour en force. En 22,3, il inspire au coeur de Judas de livrer Jésus. L’évangile utilise un terme plus fort encore : “Or, Satan entra en Juda…” (Luc 22,3). Au v. 31 (quelques versets avant notre fameux v. 36), Jésus affirme que Satan a planifié une attaque contre les douze et que Jésus a particulièrement dû prier pour Pierre sans quoi, il n’aurait pas passé au travers : “Simon, Simon, Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point” (Luc 22,31-32). Tout le groupe est ciblé (“Satan vous a réclamés”), mais Jésus a notamment prié pour Pierre qui fut probablement ciblé davantage par le diable à cause de son leadership parmi les douze. Entre le verset sur l’épée et l’arrestation elle-même, il est intéressant de voir que Jésus va au jardin de Gethsémani pour prier (Luc 22,39-46). Encore là, nous voyons que le combat est spirituel pour Jésus et non physique. Il va se préparer et se fortifier en Dieu pour passer au travers l’épreuve qui s’approche. Les disciples sont appelés à faire de même. Leur manque de compréhension et de préparation spirituelles pour ce qui s’en vient est manifeste… plutôt que de prier, ils dorment. Cet épisode met en contraste la façon de penser et d’agir de Jésus vis-à-vis les disciples.

Cette manigance satanique dont je viens de parler se trouve aussi lors de l’arrestation de Jésus. Ce dernier souligne aux personnes qui sont venues l’arrêter de nuit, que le moment choisi démontre qu’ils sont du côté des ténèbres : “J’étais tous les jours avec vous dans le temple et vous n’avez pas mis la main sur moi. Mais c’est ici votre heure et la puissance des ténèbres” (Luc 22,53). Il y a de toute évidence une dimension spirituelle que les disciples ne comprennent pas dans la scène de l’arrestation. Deux épées ne pouvaient absolument pas faire la différence contre Satan, le vrai ennemi selon la perspective de Jésus.

Bref, les circonstances de la mission vont changer pour le pire. Nous passons de l’hospitalité à l’hostilité. Vous ne devez plus vous attendre et dépendre du public pour vos besoins. L’opinion publique va changer. Les ténèbres sont derrière ce qui arrive. Soyez équipés pour le combat spirituel, car c’est Satan qui est derrière l’hostilité dirigé vers nous.

2.2. Après le v. 36 : L’arrestation de Jésus changera les perceptions sociales, mais cela fait partie du plan de Dieu

Tout de suite après le verset où Jésus parle d’acheter des épées, il poursuit en disant : “Car, je vous le dis, ce qui est écrit doit s’accomplir en moi : ‘Il a été compté parmi les malfaiteurs.’ Et ce qui me concerne touche à sa fin” (Luc 22,37).

Pourquoi les choses vont-elles changer ? Jésus répond à cette question en citant Ésaïe 53,12. Parce que l’arrestation de Jésus est sur le point de s’opérer. Et cette arrestation fera en sorte que Jésus sera perçu comme un malfaiteur et donc ses disciples aussi. Autrement dit, il affirme “Préparez-vous car mon arrestation s’en vient… cette partie des prophéties me concernant va s’accomplir très bientôt !” En citant Ésaïe, il affirme aussi plusieurs choses :

  • Cela fait partie du plan de Dieu, c’était prédit ! Dieu est en contrôle même si ça ne paraît pas.
  • L’association au serviteur souffrant (Ésaïe 53) accentue l’idée que Jésus prêchait et vivait le pacifisme, la non-violence : “On a mis son sépulcre parmi les méchants, son tombeau avec le riche, quoiqu’il n’eût point commis de violence et qu’il n’y eût point de fraude dans sa bouche” (Ésaïe 53,9).
  • L’association au serviteur souffrant accentue l’idée que Jésus offre sa vie pour la guérison du monde et non pour être violent : “Et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris.” Comme nous avons vu, pendant son arrestation, Jésus guérit l’oreille de l’homme que Pierre coupa.
  • L’association au serviteur souffrant accentue l’idée que Jésus est en train d’offrir sa vie pour les péchés des coupables : “il s’est livré lui-même à la mort et il a été compté parmi les coupables, il a porté le péché de beaucoup et il a intercédé pour les coupables” (Ésaïe 53,12).

Conclusion

Bref, pour toutes ces raisons, comme le dit Robert Stein, “il est plus naturel de comprendre l’épée dans un sens métaphorique indiquant ainsi l’importance d’être spirituellement armés et préparés au combat contre les forces spirituelles. Le besoin désespéré d’être ‘armés’ pour ces événements futurs est évident dû au commandement de vendre son manteau, car ce vêtement était essentiel pour se garder au chaud la nuit” (1992, p. 555).

Je suis persuadé que plus nous considérerons dans leur contexte littéraire et historique les passages en apparence violents dans le Coran, plus nous verrons qu’effectivement, ils incitent à la violence. Plus nous considérons dans leur contexte littéraire et historique les passages en apparence violents dans le Nouveau Testament, plus nous verrons qu’au contraire, ils n’incitent pas à la violence. Pour ce qui est du Coran en contexte, voici deux autres articles que j’ai écrit qui démontrent que les choses s’empirent pour ceux et celles qui croient en l’Islam et qui déplorent tous les actes de violence faits au nom d’Allah :

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5 comments on “La violence dans la Bible : pourquoi Jésus incite-t-il à acheter des épées ?

  1. Les disciples sont invités à présent à se munir d’argent, de besaces et même d’armes ; cette annonce voilée des persécutions qu’à la suite de leur Maître, les disciples vont subir, n’est évidemment pas comprise par ceux-ci qui l’interprètent comme un projet de résistance violente à ceux qui en veulent à Jésus (22,38).

  2. FARNABE Nov 21, 2019

    Je trouve un peu suspect le verset avec les deux épées qui apparait comme par magie. Je vois aussi très mal les disciples avec YESHUA marcher avec des épées. C’est comme le jeu chercher les erreurs. Il est aussi dit dans l’Apocalypse que beaucoup vont ajouter et retrancher dans la Parole, surtout avec toutes les interprétations et les révisions qui n’en finissent plus.

  3. Jmarc Jan 10, 2020

    Loin de Rome, deux soldats fussent suffisant pour l’arrestation d’un homme. Deux épées étaient suffisantes pour l’arrêter. Vous parlez d’une troupe de soldats pour arrêter Jesus, ceci est exagéré… « C’est assez » quels mots araméens furent prononcés ? Que nous dit le dictionnaire sur l’interjection adverbiale « c’est assez »?

  4. Hermand Christiane Nov 27, 2020

    Très bien expliqué. Merci Beaucoup… Très fraternellement…

  5. Yah Véronique Mai 26, 2023

    Très fort et bien expliquer

Théophile © 2015