Le titre de Père dans Matthieu 23,1-39

08/05/2011

Dans un post précédent (La famille : La Bible se contredit-elle?), j’ai réconcilié deux passages bibliques relatifs à la famille, passages qui semblaient contradictoires à première vue. Une personne a écrit un commentaire pour me partager son désaccord. Elle me laissa sur un autre passage qui lui semblait aussi contradictoire :

Dans la Bible, on demande aux enfants de respecter leurs parents et bla bla bla, mais quand on va plus loin, on demande de n’appeler personne d’autre que Dieu “père” ou “papa” j’imagine. Vous allez me dire quoi pour ça aussi ?

Cet article vise donc à répondre à cette question.

Premièrement, j’aimerais prendre le temps de définir ce qu’est une contradiction. Avant d’accuser la Bible d’en avoir, il faudrait qu’on se mette d’accord sur ce qu’on signifie par là. Sur le plan de la logique, une contradiction est l’action de tenir ensemble dans la même relation, en même temps et dans le même sens une affirmation et sa négation : A ≠ -A.

Cela étant dit, plusieurs affirmations peuvent nous paraître contradictoires alors qu’elles ne le sont pas en réalité. Par exemple, si je dis : « Hier, j’’étais à la conférence, mais je n’étais pas à la conférence », est-ce une contradiction ? Pas nécessairement ! Tout dépend de la signification que j’accorde à « être à » dans la première et la deuxième partie de la phrase. Ici, on pourrait comprendre que ce que je voulais probablement dire était : « Hier, j’étais physiquement à la conférence, mais je n’y étais pas mentalement. » On ne pourrait donc pas parler de contradiction puisque je ne parlais pas des expressions « être à » dans le même sens. Bien que j’utilisais les mêmes mots, je leur donnais une signification différente. J’aurais pu également donner le même exemple où je parle de deux conférences différentes (pas dans la même relation) ou de la même conférence qui se tenait à des moments différents (pas en même temps). Ces trois critères (temps, relation, sens) assurent que l’on parle précisément de la même chose dans les deux affirmations. Analysons donc Matthieu 23,9-10 en question à la lumière de cette définition :

Et n’appelez personne sur la terre “père”, car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux. Ne vous faites pas appeler “directeurs”, car un seul est votre Directeur, le Christ.

Pour qu’il y ait contradiction, il faudrait que la Bible donne ces deux commandements :

1) N’appelez personne sur la terre père,
2) Appelez quelqu’un sur la terre père.

La Bible ne le fait pas. Mais peut-être pourrait-on objecter : La Bible ne dit pas nécessairement ailleurs que nous devons appeler quelqu’un sur la terre père, mais il y a panoplie d’exemples où des personnes le font. Il y a donc une contradiction pratique. Dans le même chapitre où Jésus dit de ne pas appeler personne sur la terre père (Mt 23,9), il parle lui-même aux pharisiens de leurs pères (Mt 23,30-32).

En fait, il ne faut pas prendre à la lettre le commandement de Jésus ici. Le fait que Jésus (et Matthieu, l’auteur de l’évangéliste) réutilise immédiatement le même mot qu’il vient d’interdire démontre qu’il ne voulait pas littéralement dire que nous ne devions pas appeler qui que ce soit père sur la terre, mais qu’il voulait faire un point plus profond. N’importe qui qui étudie l’enseignement de Jésus se rendra compte qu’il n’est pas du genre à donner des règles superficielles, mais qu’il parle toujours de nos motivations profondes et désire faire une transformation intérieure. Dans notre passage, Jésus n’y va pas de main morte : “Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors, et qui, au dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impuretés.” (Mt 23,27) Les reproches de Jésus pointent toujours les profondeurs du coeur et non les actions superficielles.

Avant d’aller plus loin à ce niveau, j’aimerais parler d’un principe herméneutique fondamental. La règle numéro 1 pour bien interpréter des paroles écrites ou orales est celle-ci : il faut toujours interpréter un texte dans son contexte, car un texte cité hors contexte est un prétexte. Au moins deux contextes doivent être respectés : le contexte littéraire et le contexte culturel. Considérons donc Mt 23,9-10 au moins selon l’environnement textuel immédiat.

Le v. 9 commence avec le mot “et”. Cela nous renvoie donc minimalement à la phrase d’avant : “Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi, car un seul est votre Maître et vous êtes tous frères.” J’aimerais encore souligner deux conjonctions : “mais” et “car”. Cela veut dire qu’il nous faut voir aussi les paroles précédentes et ainsi de suite… Jusqu’à ce qu’on trouve le cadre idéologique complet des paroles de Jésus. Personnellement, je pense que pour bien comprendre ces versets, il nous faudrait lire tout le chapitre 23, donc les versets 1 à 39. Cela nous révèlerait des choses qui nous feraient comprendre ce que Jésus voulait vraiment dire dans les versets 9 et 10… Limitons-nous avec les versets 1 à 13 :

Alors Jésus, parlant à la foule et à ses disciples, dit : ‘Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse. Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent, mais n’agissez pas selon leurs oeuvres. Car ils disent et ne font pas. Ils lient des fardeaux pesants et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt. Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent de larges phylactères et ils ont de longues franges à leurs vêtements. Ils aiment la première place dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues. Ils aiment à être salués dans les places publiques et à être appelés par les hommes Rabbi, Rabbi. Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi, car un seul est votre Maître et vous êtes tous frères. Et n’appelez personne sur la terre votre père, car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux. Ne vous faites pas appeler directeurs, car un seul est votre Directeur, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Quiconque s’élèvera sera abaissé et quiconque s’abaissera sera élevé. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux. Vous n’y entrez pas vous-mêmes et vous n’y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer (Mt 23,1-13).

Comme j’ai déjà commencé à parler plus haut, Jésus condamne ici les pharisiens et les scribes. Mais pourquoi les condamne-t-il ? Parce qu’ils ont des titres et que c’est mal en soi d’en avoir ? Non. Mais ce désir d’avoir un titre prestigieux témoigne de leur orgueil. Voilà la source du mal que Jésus condamne ici. Ces personnes étaient les chefs religieux juifs de l’époque. De par leur position, ils jouissaient de l’estime populaire. Cependant, ils étaient devenus avides de cette estime. Ils aspiraient à toujours plus de considération sociale. Ils voulaient que leurs bonnes actions soient vues des autres (v. 5), avoir les places d’honneur, peu importe dans quel rassemblement (v. 6a), être salués partout et par tous (v. 6b) et qu’on s’adresse à eux avec des titres honorifiques comme Rabbi ce qui veut dire maître (v. 7). Chacune de ces pratiques est inversée par Jésus dans son enseignement éthique : les bonnes actions doivent se faire dans le secret (Mt 6,1-18), nous devons rechercher les dernières places plutôt que les premières places (Luc 14,7-14) et dans notre passage, Jésus affirme que nous ne devons pas chercher ou donner certains titres honorifiques dans le but de flatter l’orgueil. Jésus prêche une attitude d’humilité et de service qui est incompatible avec l’attitude orgueilleuse et dominatrice des chefs religieux.

Jésus les reprend non seulement parce qu’ils sont assoiffés de gloire humaine, mais aussi parce que ce qu’ils projettent est le contraire de ce qu’ils sont en réalité. Les pharisiens et les scribes laissent paraître quelque chose différent de leur être. Leur désir d’être appelé par un titre honorifique met le comble à leur hypocrisie. Bien que prêchant Dieu, ils accordent plus d’importance à la gloire humaine plutôt qu’à la gloire qui vient de Dieu. C’est pour cela que Jésus met tout le monde sur un pied d’égalité devant Dieu : “Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi, car un seul est votre Maître et vous êtes tous frères.” (Mt 23,8)

Le commandement de Jésus touche donc à un problème beaucoup plus profond que le simple fait d’attribuer un titre à quelqu’un. Il touche à notre désir de supériorité, d’autorité, de pouvoir, de gloire, bref en un mot : notre désir d’être grand aux yeux des autres. Immédiatement après avoir dit de ne pas user de ces titres, Jésus ajoute : “Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé et qui s’abaissera sera élevé.” (Mt 23,11-12)

En fin de compte, en Mt 23,9-10, Jésus ne voulait pas dire que c’est mal en soi de porter les titres de maître, de père et de directeur. Le point est plutôt que nous devrions faire attention à notre désir de s’élever au-dessus des autres par ces titres et positions et que nous devrions nous rappeler que la seule hiérarchie qu’il y a, en réalité, existe entre le Créateur et les créatures. De plus, le passage démontre que la vraie grandeur d’âme, aux yeux de Dieu, se trouve dans notre attitude d’humilité et de service.

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7 comments on “Le titre de Père dans Matthieu 23,1-39

  1. Anonyme Août 13, 2011

    Merci de nous faire rappeler qu'aller voir le contexte d'un passage est TRÈS important! Il est vrai que parfois, à première vue, certains passages bibliques peuvent nous paraître contradictoires. Mais, en l'étudiant un peu, on trouve des réponses et même, comme tu dis, de la richesse!

    • Hermann K. AMOUSSOU Avr 2, 2018

      Le sujet est bien développé mais laisse le curieux sur sa faim. Faire de la politique à l’aide de la Parole Dieu me paraît inapproprié.

      Résumons : Est-il aujourd’hui déplacé, exagéré, antibliblique de déclarer que les prêtres catholiques réputés immoraux du fait de leur addiction éffrénée pour le sexe (ILs ont des enfants dehors) et de leur déviance sexuelle (Ils violent des petits garçons) sont compris dans le champ des rrproches de Jésu aux pharisiens ? Concluez s’il vous palît. ET votre développement aura été plus complet ! Mais ne chercher pas à éviter le noeud gordien de la préoccupation sous-jacente. Merci

  2. Anonyme Oct 21, 2011

    « 21 Toutefois, de tous les bestioles ailées marchant sur quatre pattes, voici celles que vous pouvez manger : celles qui, en plus des pattes, ont des jambes leur permettant de sauter sur la terre ferme. 22 Voici donc celles que vous pouvez manger : les différentes espèces de sauterelles, criquets, grillons et locustes. » [Lévitique 11:21-22]

    Defi: les insectes ont ils quatre pattes??

    Bien sur que la Bible est objectivement un livre avec une empreinte humaine donc peut être contradictoire. C'est certain. La bible n'est pas la parole de Dieu C'est un témoignage d'hommepar rapport à la croyance hebreux.

  3. 1- Les insectes ont-ils quatre pattes? Sincèrement, je ne vois absolument pas votre point ici!

    2- La Bible est un livre avec une emprunte humaine : vrai. Ce sont des hommes à certaines époque dans une culture donnée qui ont écrit les 66 livres qui la composent. Il ne s'ensuit absolument pas que, du fait que des hommes ont écrit ces livres, ils ne puissent pas être inspirés de Dieu. C'est deux options ne sont pas mutuellement exclusives. Passé du fait "des hommes ont écrit la Bible" à "elle n'est donc pas inspirée de Dieu" est une inférence fallacieuse.

    3- Je ne suis pas venu à croire dans la Bible en l'analysant phrase par phrase pour voir si elle contenait des contradictions ou pas. Je suis venu à croire dans la Bible parce que j'ai rencontré le Dieu dont on parle dans la Bible. Sans ça, je m'achopperais encore sur des détails sans importance (ou je ne la lirais tout simplement pas) alors qu'elle contient le témoignage des hommes concernant l'action de Dieu et son plan pour l'humanité. Si vous chercher la vérité, je vous encourage à demander à ce Dieu de se révéler à vous.

  4. Bonou s. Castilo Mar 15, 2017

    Nous enfants de Dieu ,nous devons beaucoup fait attention pour n’est par être comme les autres .c’est pourquoi Jésus lui-même nous mettre en garde de ces chose a la fin du l’introduction qui es du versé 1-12, le versé 11&12 dit ” le plus grand parmi vous sera vôtre serviteur”. Et contre a cella le versé 12 dit” quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé. Donc pour l’application de cette enseignement nous devons beaucoup fait attention pour que le seigneur soit loué

  5. Darcel Nov 7, 2017

    Très bien dit, la Bible n’est pas contradictoire et n’a jamais été contradictoire. Toutefois, avant d’interpréter un passage biblique, il faut d’abord chercher à comprendre le contexte dans lequel le situe l’auteur. Voilà pourquoi il vaut mieux lire les passages d’avant afin de mieux saisir la pensée de l’auteur.

    Dans ce verset, Jésus ne parle pas de père biologique, mais plutôt de père spirituel qui n’est autre que Dieu, pas une autre personne humaine… C’est à lui seul que la gloire est rendu…

    Merci, frère, pour cette explication, elle est vraiment claire.

  6. mukengeshay Déc 23, 2017

    Bonjour, merci pour cet exercice d’explication sur ce verset. En fait, la plupart des pasteurs en RDC s’estiment respectés lorsqu’ils sont appelés “papa” par les croyants alors je voulais savoir si cela est une abomination.

Théophile © 2015